mardi 22 novembre 2011

la confédération de nos âmes


« Pereira prétend » est le premier roman d’Antonio Tabucchi que j’ai eu l’occasion de lire. Et auquel je suis resté le plus accroc, même si depuis, j’ai lu presque tout ce qu’il a écrit. Pereira, petit journaliste, responsable de la page culturelle d’un journal de la capitale le « Lisboa », veuf qui continue à parler à la photo de sa femme, étranger à ce qui se passe dans le monde de son époque - le développement du fascisme au Portugal, en Allemagne, en Italie et en Espagne - vivote, mange trop et mal, grossit et voit sa vie basculer peu après la rencontre de deux jeunes résistants italiens et espagnols venus recrutés des brigadistes dans le Portugal salazariste. Le doute et la dépression le pousseront finalement à passer quelques jours dans une clinique de thalassothérapie où il peut enfin se confier au docteur Cardoso et lui faire part de sa « nostalgie du repentir ». Le docteur lui explique alors l’importance de la psyché sur notre santé physique et qu’il serait très important pour Pereira de comprendre d’où lui vient cette nostalgie du repentir. Il lui parle alors de la théorie de deux médecins philosophe français : Théodule Ribot et Pierre Janet
(Deux médecins, philosophes et psychologues contemporains de Freud, à qui ils se sont opposés. Théodule Ribot est l’auteur d’un « Essai sur l’imagination créatrice sorti la même année que « L’interprétation des rêves » de Freud. Pierre Janet a lui publié quatre ouvrages dont le premier s’intitulait « L’automatisme psychologique ». Les deux auteurs se distanciaient de l’approche trop exclusivement sexuelle des traumatismes dont faisait preuve Freud. Ils dirent entre autres « c’est quand on ne trouve pas une explication dans la vie actuelle du sujet, qu’il est juste de chercher l’explication dans le passé. Et là, il ne faut pas que le médecin s’entête à exiger que cet événement du passé soit d’ordre sexuel. Critique de Freud bien avant Michel Onfray)
Le docteur « Cardoso-Tabucchi » résume ainsi la théorie des médecins-philosophe :
« Nous croyons, dans la tradition chrétienne, que nous sommes « un », qu’on se suffit à soi-même, détaché de la pluralité de nos personnalités, que nous n’avons qu’une âme. Ribot et Janet voient la personnalité comme une confédération de plusieurs âmes, car nous avons plusieurs âmes en nous, une confédération qui se place sous le contrôle d’un moi hégémonique. Ce que nous appelons la norme, ou l’être, ou la normalité, n’est qu’un résultat, non un préalable et dépend du contrôle d’un moi hégémonique qui s’est imposé dans la confédération de nos âmes ; dans le cas où un autre moi apparaît, plus fort et plus puissant, alors ce moi renverse le moi hégémonique et prend sa place, étant amené à diriger la cohorte des âmes, ou mieux la confédération, et sa domination se maintient jusqu’à ce qu’il soit renversé à son tour, suite à une attaque directe ou à une patiente érosion. Peut-être y a-t-il, après une patiente érosion, un moi hégémonique qui est en train de prendre la tête de la confédération de vos âmes, doutor Pereira et vous ne pouvez rien y faire sauf éventuellement y aider. »
En résumé, Cardoso fera comprendre à Pereira que durant ces trente dernières années, ce moi hégémonique qui lui disait que la littérature et le journalisme étaient les choses les plus importantes de sa vie était en train d’être renversé par un autre moi hégémonique qui lui disait de se mettre à l’écoute de ces résistants et de faire avec eux ce qu’il pensait devoir faire.
« Si vous vous laissez conduire par ce nouveau moi hégémonique, sans doute votre vie vous semblera plus utile et vous ne compenserez  plus vos tourments par la nourriture et les citronnades pleines de sucres que vous ingurgitez. »
Fabuleux, « Pereira prétend » raconte la prise de conscience d’un homme confronté à la dictature.

lundi 21 novembre 2011

Philippe Gibbon a Orpheu


Philippe Gibbon est typiquement un « ami numérique », ou je crois qu’il préférera le terme de  « camarade numérique ». Il est vrai que je me reconnais dans ses révoltes, ses goûts et sa liberté. Je l’ai connu au restau, quand il est venu souper après le vernissage de son expo au « Placard à Balai », je l’ai revu lors de sa dernière exposition à la galerie Orpheu sur les Neandertal, et depuis, nous échangeons de temps à autres, par e-mails nos humeurs et nos coups de cœur, quand Philippe ne disparaît pas dans une frénésie créatrice comme ce fut le cas dernièrement, ce qui a pour résultat l’expo que nous allons pouvoir découvrir.
C’est une expo dessins, intitulée « J’aurais pu photographier tout ceci ».
Elle a lieu à la Galerie Orpheu, rue Saint Eloi, 17. Diu 23/11 au 11/12 /2011. Le vernissage a lieu ce mercredi de 18h à 21 h. L’expo est accessible le jeudi, vendredi et samedi de 15 à 18 h. Mais ce qui est gai c’est qu’elle est également ouverte le dimanche de 12 à 16h pour ceux qui veulent s’amener là avec un petit apéro à prendre avec Philippe.
Mais vous pouvez déjà faire connaissance avec lui :
« J’ai commencé à produire des affiches en 1968, dans le mouvement étudiant, et je n’étais pas le seul. Décider d’une affiche en réunion à 11h du soir, la dessiner aussitôt et l’imprimer en sérigraphie dans la nuit pour la coller à 6 heures du matin n’était pas exceptionnel du tout et oui, c’était sans doute une bonne école »
En 2008, la ville de Liège organisait une rétrospective de ses quarante ans d’exposition et le présentait ainsi : « Artiste engagé, humaniste et ironique, Philippe Gibbon vit à Liège depuis 45 ans. Il a exploré avec talent des techniques aussi variées que l’affiche, la calligraphie, la gravure au burin, la pointe sèche, l’eau-forte, le dessin à l’encre de Chine ou au fusain, la sculpture en terre, résine, métal, bois et le collage. »
Philippe Gibbon est son nom d’artiste. Il, pas l’homme, mais son patronyme, vient du nom d’un singe asiatique, anthropoïde : le gibbon. Il y a toutes sortes de gibbon : le gibbon à bonnet, le gibbon cendré, le gibbon à favori blanc du sud, le gibbon aux joues pâles, le gibbon aux mains blanches et j’en passe.
Philippe est un gibbon aux mains noires, noires de mines de plomb et d’encre de chine.
Marlène et moi seront au vernissage ce mercredi. Nous y serons vraiment, pas comme lors de la venue de Carlo Petrini, que nous avons…complètement oublié.
Ce même mercredi 23/11 à 20h, aura lieu la projection du film « Cultures en transition ». L’occasion de rencontrer le réalisateur mais aussi toutes les associations liégeoise impliquées dans « Liège en transition ». Nous tenterons de faire les deux.
Allei, à mercredi.

vendredi 18 novembre 2011

Eloge des amitiés numériques


C’est la centième ! C’est la centième lettre, news, nouvelle que je vous écris et vous envois. Cela fait donc plus de cent semaines que cela a commencé, que notre « amitié numérique »  a vu le jour. Les premières étaient courtes, concernaient surtout la vie du resto, place Saint Etienne mais quelques petits récits personnels s’y étaient déjà glissés. Depuis, vous connaissez  (presque) tout de notre vie ??Cela n’a pas été facile pour moi, de trouver le ton, de définir où mettre la limite pour éviter toute « exhibitionnisme ». Je me suis plus ou moins donné comme philosophie, de raconter la vie dans ce qu’elle a de plus gai et surprenant, de rester attaché à la cuisine, puisque l’idée de ces lettres est née du restaurant, et d’essayer de donner DU SENS. Je considère que pour être extraordinaire, la vie ne doit pas nécessairement être faite d’événements extraordinaires, même s’il peut y en avoir aussi et c’est vrai que j’y ai eu droit à plus d’une reprise. Pour être extraordinaire, la vie doit être regardée, racontée, interprétée, lue sous un certain angle … qui lui donne sens. Et c’est la condition pour que nous nous apercevions que nous portons dans notre histoire, dans celle de notre famille, de nos parents, de notre communauté, des événements extraordinaires : une immigration, une aventure professionnelle, une histoire d’amour, une relation amicale, une relation avec nos enfants, que sais-je encore qui peuvent prendre une dimension extraordinaire parce que nous en ferons une lecture amoureuse, poétique, aventureuse, artistique et métaphysique. Nous ne sommes que ce que nous avons retenu de notre histoire et de nos rencontres.
Habituellement, tout ce que je raconte est vrai, est vécu ou a été vécu. Bien sûr, cela reste le regard, mon regard, porté sur ce vécu. Avec le temps, la nostalgie a grossi les traits les plus mélancoliques, et comme je suis « un incorrigible menteur »(A. Tabucchi), j’embellis, je poétise et j’essaye que ce soit agréable à lire.
Je me demande très souvent, et en fait avant chaque lettre, si je ne vais pas ennuyer, si je ne vais pas apparaître comme me prenant au sérieux. Il m’arrive souvent de penser, « mais qu’est-ce que les gens en ont à foutre de ce que je leur raconte ? ».  Ce qui me rassure et m’aide à continuer c’est que je n’ai plus, depuis longtemps, de demande de retrait du fichier et qu’au contraire, j’ai chaque semaine des demandes d’inscription, soit venant de vous qui me demandez d’inscrire vos amis, amies, soit de personnes qui en ont entendu parler et souhaite s’inscrire. Quelqu’un m’a même demandé quel était le prix. Vous êtes plus de six cents à recevoir ces mails et je sais que certains et certaines d’entre vous le partagent avec d’autres.
Florence Cayemaex  (FNRS ULG), sans le savoir, m’a bien aidé. Elle m’écrivit à l’occasion de mes soixante ans : « … je me demande toujours (avec le genre de curiosité éveillée dont tu parles) comment il faudrait qualifier le genre littéraire que tu inventes là (lettre, récit personnel et familial où l'on perçoit l'onde affaiblie mais bien là des mouvements historiques, carnet de cuisine, le tout à travers le courriel, ce qui change complètement les rapports entre destinateurs et destinataires)… Outre que j’ai bien sûr considéré cela comme un merveilleux compliment, cette réflexion de Florence m’a fait dire : « allons-y, continuons et on verra bien où cela aboutira.
Vos réactions, presque toujours positives sont bien sûr l’élément déterminant qui m’enlève tout envie d’abandonner. Est-ce lourd ? Non ce ne l’est pas dés que je commence à écrire. Mais écrire est épuisant et je retarde parfois de deux ou trois jours l’écriture. Ce n’est pas plus mal car cela m’aide à mûrir les idées.
Et voilà qu’à la veille de cette centième lettre, je tombe sur un article de Dominique Cardon intitulé « Eloge des amitiés numériques ». Et je me dis, « mais c’est moi ça ! ». Que sont mes lettres et ce qu’elles entraînent comme échange de courrier,  si ce n’est un moyen de cultiver et développer un réseau d’amitiés numériques.
Le sociologue Dominique Cardon est un observateur reconnu de la pratique d’internet et des bouleversements culturels qu’il entraîne.  Dans l’article en question, il répond à la critique la plus fréquente faite aux réseaux sociaux et à Facebook : « il ne peut y avoir d’amitié virtuelle, la seule amitié qui existe suppose le contact direct, humain, réel ». C’est une question qui je crois nous interpelle tous et que nous nous sommes souvent posée avant de nous inscrire dans un réseau ou l’autre. Est-ce si simple se demande Cardon. Ainsi toutes les amitiés directes, qui se font par la rencontre physique et orale directe seraient des amitiés nobles, parfaites, profondes et sincères et les amitiés numériques de fausses amitiés, sans profondeur, hors du réel ? Questionne-t-il. Une première critique que l’on peut faire à cette thèse c’est qu’elle induit l’idée d’ une discrimination en matière d’amitiés : une amitié, la vraie, que seule peut s’offrir une élite qui se déplace et fréquente les lieux de vie et de travail et un autre type d’amitié - fausse, virtuelle, artificielle - réservée aux exclus, à ceux dont la vie sociale s’est réduite comme peau de chagrin et à qui il ne reste qu’internet pour des relations anonymes mais qui pourtant les sort de leur isolement.
Mais, plus fondamentalement, Cardon pose une autre question : les amitiés « réelles » sont-elles si nobles que cela ? Sont-elles toujours si profondes et sincères et jamais superficielles ? Sont-elles dénuées de toutes envies, de toute recherche d’intérêts, de tout opportunisme et d’hypocrisie? Toutes nos amitiés, réelles ou numériques n’ont-elles pas des hauts et des bas, des moments faits d’élan de tendresse, de solidarité, d’entraide et d’amour et des moments de rejets, d’ennuis ou du moins d’indifférence?
Par ailleurs, n’avons-nous pas, ici c’est moi qui résume, des amitiés à intensité et géométrie variable ? Des amitiés fortes et des amitiés que Caudron catégorise comme faible et que je nommerais « légère ». C’est évidement la différence entre des amitiés si vieilles et si longues qu’une séparation, un éloignement semble impossible et des amitiés factuelles que l’on cultive moins, qui sauf exception, disparaissent quand les circonstances changent. Ainsi en est-il des amitiés que l’on noue dans son milieu de travail et qui souvent s’estompent quand on le quitte. Nous vivons tous cela à des degrés divers : on se fait des amis dans le train, au travail, dans un club sportifs ou autres. Nous avons tous des amitiés d’enfance qui se sont prolongées, consolidées et sont devenues si durables que nous n’imaginons pas qu’elles puissent disparaître un jour. Et aujourd’hui, voici qu’un nouvel espace, internet, permet de multiplier les contacts, la fréquence des contacts, la fidélité à ces contacts et l’approfondissement de relations qui, sans internet, seraient sans doute vouées à disparaître.
Y a-t-il dans toute cette constellation de rencontres, des amitiés plus nobles, plus vraies que d’autres ? Non n’est-ce pas. Il y en a de fortes, de moins fortes et de faibles mais toutes aussi nobles. Et si c’est bien le cas, internet et les réseaux sociaux ne sont-ils pas une fabuleuse opportunité de plus grande sociabilité pour chacun des individus que nous sommes ? Est-ce que ce nouveau mode de socialisation nous ferait abandonner les modes anciens, la rencontre directe, physique, la discussion autour d’une table, le voyage entre amis ? Peut être ce danger existe-t-il, mais j’ai l’impression pour ma part que c’est le contraire qui se produit et que cela se passe comme pour n’importe quelle rencontre. Marlène et moi fréquentons depuis de nombreuses années le même café, le matin avant d’aller au travail. Nous, les habitués, nous connaissons tous. Bien sûr, nous avons des liens plus étroits avec certains qu’avec d’autres, avec certains, nous nous faisons la bise, avec d’autres nous nous serrons la main, nous tutoyons certains et vouvoyons d’autres etc. Mais pour ma part je dirais que ce sont des amitiés. Légères (faibles pour Caudron) pour certaines, plus fortes et très fortes pour d’autres. Pour autant, chacune m’est sympathique. J’apprécie ce couple à qui nous serrons la main tous les jours, sans connaître leurs noms mais avec qui nous avons des échanges « tiens vous avez vu, on a fait du 100 km avec un nouveau type de vélo ? ». Le monsieur a eu un métier très spécialisé dans lequel il est encore impliqué et il est venu un jour avec des dizaines de reproductions de ce qu’il faisait. (C’est lui qui imprime les vitres des billards électriques par un procédé sérigraphique hyper sophistiqué que les boîtes de La Vegas lui envient). Je suis heureux de le rencontrer et il me manquerait s’il ne venait plus. Ces rencontres du café du matin ont donné lieu à de véritables relations amicales et suivies et pour certains se sont prolongés sur internet ou dans ce Google group CEC.
N’est-ce pas ce qui nous arrive à travers ces courriers hebdomadaires et les échanges de courrier qu’ils entraînent. D’une rencontre dans un restaurant, est né un courriel qui se voulait d’informations, devenus peu à peu des lettres fiches de recettes, des histoires d’enfance dans lesquelles la nourriture servait de point de départ pour finir par des histoires, des nouvelles et lettres d’amitiés. D’amitiés numériques, dont certaines oint été plus loin et sont certainement là pour durer et s’approfondir. Amitiés numériques mais néanmoins humaines, notre amitié,  qui j’espère durera encore cent autres semaines
XXXX
Notez déjà, bloquez à votre agenda et venez nous rejoindre, à la galerie Orpheu, rue Sainte Eloi, numéro 17,  ce mercredi 23 novembre de 18 à 21 heures
PHILIPPE GIBBON expose
Je vous parle souvent de lui, je vous en parlerai en détail lundi matin. Mais sachez que Marlène et moi y serons. Je vous transmettrai toutes les données. L’expo dure jusqu’au 11 décembre
Allei, comme on a dit.

mardi 15 novembre 2011

réactions à "le mieux est l'ennemi du bien


Je n’ai jamais reçu autant de réactions et de…compliments. Merci. Pour être sincère, cela me fait vraiment plaisir de recevoir des réactions, quelle qu’elles soient. Vous aurez donc droit à deux lettres aujourd’hui, un résumé des réactions et demain, je vous parlerai des « amitiés numériques ».
Bianca et Anne Guillaume me font des éloges qui m’ont été droit au cœur, mais ma modestie m’empêche de les reproduire, cela aurait l’air de l’auto-encensement. Anne Guillaume termine en me disant « continue à m’envoyer tes histoires » et Bianca me dit « j’adore te lire.
Vous y avez tous cru jusqu’à l’emprunt de la voiture de Ahmed. Myriam pense que je n’aurais « jamais volé la voiture d’un immigré », Nuraj  elle, pense que je n’aurais jamais volé du tout, même la voiture de Jean Claude. Elle me dit :
« Et c'est encore au boulot que je le lis ton mail (je suis incorrigible).
Emportée par la lecture, je voulais aller trouver ton voisin André et de lui expliquer certaines choses, qu'il n'avait pas le droit de t'accabler même si c'est un drame! (c'est la fête du sacrifice, des animaux avec des têtes coupées, ça ne m'émeut pas).
Je me suis dit aussi qu'il fallait absolument que je te donne mon numéro de GSM (0477 000000) pour m'appeler et t'emmener à l'hôpital si un truc t'arrive...
Je me suis réveillée de ton cauchemar lorsque tu as piqué la bagnole de ton voisin Ahmed....je ne te voyais pas dans ce rôle là!
Bravo, tu m'as fait vivre en en une lecture des sentiments aussi opposés que l'injustice et le bonheur en passant par l'effroi, l'admiration,...! »

Deux personnes y ont cru jusqu’au bout, Rachel qui »s’est pissé dessus », ce que je trouve scandaleux, puisqu’elle pensait que tout était vrai mais cela ne l’a pas empêchée de rigoler.et ma petite sœur Nadia qui s’est fâchée : « Pfffff... Je ne pense pas que tu sois fou, je pense que t'es un grand malade mental! Complètement inconscient de nous faire de telles frayeurs! Ceci dit, c'est très bien écrit, bien mené, j'y ai cru jusqu'au bout mais peut-être suis-je une grande naïve? Hâte de voir les réactions!!! »

Eric me dit qu’il n’acceptera jamais malgré tout que le mieux soit l’ennemi du bien, mais admet que la recherche de la perfection peut conduire à la cata. Alice me fait aussi le récit de sa journée pleine de douceur dans laquelle est venu s’insérer la lecture de ma nouvelle.

Denis m’a fait un plaisir aussi immense et m’a bien fait rigoler aussi
« Mille sabord de mille sabord, c'est tout à fait du Capitaine Haddock en 10.0000 fois  mieux, tu as une imagination en 3D. Marlène est donc ton inspiratrice. A mon avis ne fait rien, ne touche à rien, laisse la maison bordélique et emmène Marlène au resto en taxi. Laisse la voiture d'Ahmed tranquille elle n'a pas de carte verte ni de contrôle technique.
Merci pour ce moment d'évasion, je me suis régalé. »

Le reste est à l’avenant, encore merci et à demain


mardi 8 novembre 2011

le mieux est l'ennemi du bien


Ce texte est fort long. Je m’en excuse, mais il parle une succession d’événements survenus en un laps de temps très court et que je me devais de vous conter.

Je m’étais réveillé en nage et il me fallut un certain temps pour me rendre compte que j’étais bien dans ma chambre. Le soleil passait en jaune pâle à travers les tentures d’écru. Le réveil électrique indiquait « Dimanche 31 octobre, dix heures dix ». Marlène rentrerait dans huit heures de ces cinq jours de travail à Londres. J’avais bien planifié tout ce que j’avais à faire d’ici là pour que la maison soit en ordre à son arrivée et le repas préparé.
 J’avais décidé de cuisiner ce que les espagnols désignent « Salade Russe ».Simple et bon. De plus, je pouvais, je devais même, la préparer à l’avance et la laisser « prendre » au moins deux heures au frigo. Je descendis à la cuisine et mis directement à cuire trois pommes de terre en chemise et trois œufs durs. Une fois cuits et refroidis, j’aurais à couper deux belles carottes, un beau blanc de poireaux, deux échalotes, et une vingtaine d’olives noires en mirepoix, les mélanger avec les pommes de terre et les œufs cuits durs, y ajouter une boîte de thon au naturel, mettre le tout dans un beau saladier, recouvrir d’une bonne couche de mayonnaise et mettre le tout au frigo.
J’avais également acheté du saumon fumé bio, pas absolument nécessaire mais c’est une tradition et une tradition, cela se respecte. Depuis toujours, quand Marlène rentre de l’étranger, il y a à table du saumon fumé et du cava espagnol. C’est comme cela et il n’ya aucune raison que je change cette coutume.
Mais déjà, on sonnait à la porte (chose rare un dimanche matin) et j’allais ouvrir, encore en pyjama (chose non pas rare mais absolument exceptionnelle). C’était André, le papa d’Hélène. « Voilà Mario, la femelle est également morte. Le vétérinaire est formel, c’est le choc psychologique de la mort du mâle. C’est comme pour les oiseaux inséparables dés que l’un meurt, l’autre suit, c’est pour cela qu’on les appelle inséparables ». Son ton était véhément, accusateur, j’avais créé le drame dans cette famille, j’étais responsable de tout. J’avais tenté d’exclure de ma mémoire cette catastrophe survenue la veille, samedi. J’y pensais sans y penser et avait presque fini par croire que ce n’était pas arrivé, qu’il s’agissait d’un mauvais rêve.
J’avais hésité le samedi à tondre la pelouse, non pas qu’elle fut trop haute mais histoire de la nettoyer des feuilles mortes qui s’y accumulaient. Marlène ne me demande rien de spécial pour son retour, elle n’a pas d’exigences particulières quand à l’ordre dans la maison, mais je veux toujours en faire trop, que tout soit net et même mieux qu’à son départ. Qu’elle puisse s’écrier « oh, quelle belle maison, quelle belle table, quel bon repas, quelle belle pelouse, quel bel accueil… ». Je voulais toujours en faire trop et cela m’avait déjà valu quelques incidents, mais jamais aussi catastrophiques que cette fois. C’était d’autant plus ridicule qu’à l’heure où Marlène rentrerait de Londres, il ferait déjà sombre et elle ne remarquerait pas la pelouse tondue et propre. D’autant qu’en deux jours, d’autres feuilles l’auraient à nouveau encombrée. Mais rien n’y fit. En fait je le faisais autant pour Marlène que pour moi. Je décidai donc de tondre la pelouse et une connerie n’allant jamais sans une autre, je choisis d’utiliser la vieille tondeuse. Elle trainait dehors depuis juin, sa carrosserie était rouillée et démangée tout autour du moteur. J’avais mis du gros sotch sur les trous pour empêcher la tonte de me voler dans la figure, mais j’appréhendais le moment ou le moteur se détacherait et finirait on ne sait où. Mais comme cette fois,  il s’agissait surtout de ramasser les feuilles mortes… Cela arriva en fait juste au début de la troisième bande de tonte. D’un  seul coup. Bien plus vite que je ne l’aurais imaginé. Les quelques bout de ferraille qui attachaient encore le moteur au reste de la tondeuse, se déchirèrent et instantanément, le moteur se détacha, pris de la hauteur sous l’effet de l’hélice, traversa les cinq mètres du jardin de notre voisine Louise et atterrit dans le jardin des autres voisins. J’entendis un cri, bref, assez aigu, difficile à reproduire et puis d’autres cris et des pleurs d’enfants. Mon Dieu, Hélène pensais-je. J’entendis de suite les cris de sa mère, « Mon Dieu qu’avez-vous fait Mario, mon Dieu qu’avez-vous fait ? ». Je reçus un coup au cœur, mon ventre était en feu, je me précipitais, sautais les deux clôtures à une vitesse époustouflantes, Hélène pleurait, mais ne semblait pas blessée, sauf aux mains qui étaient en sang, mais je compris très vite que ce n’était pas elle qui saignait. Les chihuahuas ! L’enseigne avait été installée à peine quinze jours auparavant : « les chihuahuas d’Hélène, élevage et vente ». C’était un chihuahua. Hélène tenait en mains une tête de chien chihuahua, qui n’était plus rattaché à aucun corps. Ses grands yeux étaient resté ouverts, un bout de sa langue rose sortait de sa bouche, j’avais décapité un chihuahua !! J’étais à la fois soulagé et à la fois je me rendais compte que la catastrophe n’en était pas moins terrible. « Qu’avez-vous fait Mario ? » se plaignait la mère d’Hélène, « mon chihuahuaaaa », pleurait Hélène. Je ne savais que dire pour m’excuser, j’avais les intestins tordus de douleur, ma désolation ne les calmait ni les consolait. C’est André le père qui finit par dire : « c’est cinq mille euros un chihuahua ! ». « Oui bien sûr, je paierai, je suis désolé, j’aurais préféré me blesser moi-même, c’est un accident comme il en arrive parfois, cela aurait pu être pire, mais je ferais appel à mon assurance et je paierai bien sûr ». Je dus au moins le répéter dix fois pour qu’enfin tout le monde se calme, que la mère arrête de répéter « qu’avez vous fait Mario ? » qu’Hélène cesse de pleurer « mon chihuahuaaaaa » et qu’André cesse de me rappeler « c’est cinq mille euros un chihuahua ». J’emportais mon moteur de tondeuse, repassais le jardin de Louise qui entretemps était accourue et me regardait l’air de dire « vous n’en faites pas une bonne hein vous ! ».
Il me fallut un long moment pour me remettre de mon désarroi et J’achevais de tondre ma pelouse avec les pieds de plomb. Qu’avais-je eu besoin de tondre cette pelouse ? Et avec cette vieille tondeuse en plus ? Le soir, je bus deux bouteilles de vin pour tenter de chasser de ma mémoire la tête sanguinolente du petit chien et les sanglots d’Hélène. Et maintenant, il s’avérait qu’un deuxième chihuahua était mort. « Deux chihuahua c’est dix mille euros » me dit André. Bien acquiesçais-je. Je prendrai contact avec mon assurance, je paierai, je suis désolé, je ne le regretterai jamais assez…
C’était donc bien arrivé et il allait falloir que j’explique cela à Marlène qui m’avait déjà dit à plusieurs reprises de ne pas utiliser cette vieille tondeuse, que je finirais par avoir un accident… On croit que cela n’arrive jamais ce genre de chose mais voilà.
Il fallait quand même que je continue ma remise en ordre de la maison, les chihuahuas étaient morts et ne rien faire ne leur rendrait pas la vie. Je nettoierai juste ce qu’il faut, ne rien faire qui ne soit indispensable, éviter tout nouvel accident, ne pas ajouter de catastrophes à la catastrophe.
Mon nettoyage consiste à prendre les poussières des meubles et des objets, à changer de place un tableau ou l’autre, à cirer table et armoire et à passer le mocho au sol après y avoir passé l’aspirateur.
Je devais faire attention au grand miroir du corridor. Il fait un mètre cinquante de hauteur et quatre vingt centimètres en largeur. C’est un grand miroir, reproduction des miroirs néo-classiques. Il est lourd, il s’est déjà retrouvé au sol après que le câble d’acier qui le tenait au crochet se fut brisé. Heureusement, à l’époque le miroir n’avait subi aucun dégât. J’avais remplacé le câble par une chaîne, mais chaque fois que je le dépoussiérais, j’avais une appréhension et aujourd’hui encore plus après la catastrophe de la veille. Je pensais même ne pas le dépoussiérer pour éviter tout risque mais, il se trouvait dans l’entrée, entouré de deux belles lampes murales qui faisait scintiller ses moulures dorées et il ne fallait pas qu’il soit poussiéreux à l’arrivée de Marlène. Je passais donc ma loque à poussière. Sans doute étais-je nerveux, sans doute appuyais-je trop fort où peut être fis-je un geste maladroit, toujours est-il que j’entendis un clac, je vis le miroir glisser le long du mur et je fis ce que je n’aurais pas du, je tentais de le retenir et évidement, voulant le plaquer au mur, je brisai la glace. Le bruit de verre brisé me parut effroyable et je ressentis une atroce douleur. Une pointe de verre m’était entré dans l’avant bras, je l’enlevais et découvris une entaille de quatre ou cinq centimètres de larges et de deux centimètres de profondeur. Je suis en permanence sous anticoagulant et le sang se mit à pisser. Le cadre du miroir était entier mais le verre se réduisait à des morceaux de pointes accrochées aux bords. Je m’entourais le bras d’une serviette éponge, espérant stopper l’hémorragie. Il fallait que je ramasse les morceaux par terre, sans me blesser de nouveaux. Ce que je fis. Mais la serviette était complètement imbibée et quand je la retirais, le sang coulait et sortait par giclée. Je n’avais pas le choix, je devais me rendre à l’hôpital au plus vite et plus vite je serais soigné, plus vite je pourrais achever la mise en ordre de la maison.
La salle des urgences était remplie de monde, des gosses qui pleuraient ou gémissaient, des femmes au bord de la syncope, un gars pieds nus dont le gros orteil faisait angle droit avec le pied. Il avait heurté le pied de sa nouvelle table et son orteil s’était détaché m’expliqua t’il. Il m’apprit qu’il était chauffeur de bus et je ne pus m’empêcher de rire. « C’est pour quoi vous ? » me demanda l’infirmière. Je lui expliquais et immédiatement, elle cria, « brancardier, Sintrom » et immédiatement, je me retrouvais installé dans une chaise roulante, on m’injecta le contre produit, l’hémorragie s’arrêta presque de suite et on me recousu la plaie sans autre forme de douceur. On m’annonça de suite que je devrais rester à l’hôpital jusqu’au lendemain, le temps de réguler mon taux. J’expliquais que c’était impossible, que ma femme rentrait de Londres dans quelques heures que je devais finir de mettre en ordre la maison, mais rien n’y fit. « Votre femme préférera vous retrouver en bonne santé que de retrouver sa maison en ordre » trancha la doctoresse. Peut être, mais il était hors de question que Marlène rentre sans que je ne sois là pour l’accueillir, et découvre le miroir brisé et au pire, apprenne les circonstances de la mort des chihuahuas. Je m’endormis une demi-heure, à mon réveil, les médecins et infirmiers étaient débordés et couraient en tout sens. J’en profitais pour m’éclipser sans demander mon reste.
Il me restait assez de temps de nettoyer et d’ensuite aller chercher Marlène à la gare. Mais jamais deux sans trois comme on dit.
Le seau qui nous sert pour le nettoyage est toujours rangé au pied de la terrasse, juste au coin des pignons arrière et latéral. A cet endroit, les joints des briques se sont vidés sous l’action du temps et surtout de la pluie. Depuis vingt ans que nous habitons la maison, je me dis qu’il faudrait prendre le temps de rejointoyer, mais, vous savez comment c’est, nous parons au plus pressé, nous nous occupons le plus souvent d’abord des apparences et de l’esthétique, à tort nous donnons priorité à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur et puis comme disait mon grand père, les briques, cela tient par habitude…Bref, nous n’avons toujours pas rejointoyé. Parfois l’idée m’affleure que les briques pourraient finir par tomber et le pignon s’effondre. Mais je ne m’y suis jamais vraiment arrêter et ai toujours préféré investir les projets positifs que les réparations.
Le seau de nettoyage possède un bec assez grand et le bec était justement encastré, oh, d’à peine un ou deux centimètres n’est-ce pas, dans le vide d’un joint. Je dus enlever le seau trop vite, en faire une sorte de levier et dés que je l’eus enlevé, quelques briques s’effondrèrent, peu à peu d’autres suivirent et ce fut finalement deux bons mètres de coin du pignon qui se retrouvèrent au sol. J’eus peur que le reste suive et que tout un pan de la maison ne s’écroule. Mais cela sembla se stabiliser. Je courus chercher un mandrin à l’arrière et j’étançonnais le coin du pignon du mieux que je pus malgré la douleur qui s’éveillait dans mon avant bras. A l’intérieur de la maison, le plafonnage avait tenu et seul un trou de quelques cm laissait passer le jour. Je le camouflai comme je puis avec du papier et me dis que je pourrais réparer cela dés demain, sans que Marlène ne s’aperçoive de quoi que ce soit. Il me restait peu de temps pour achever mon nettoyage, dresser la table, me rafraîchir et me changer et enfin aller chercher Marlène.  J’avais décidément joué de malchance, voulant bien faire, j’avais accumulé les catastrophes, je me sentais mal et affaibli et me disais que Marlène s’apercevrait vite que quelque chose ne tournait pas rond.
Je me félicitais d’avoir préparé cette salade russe, j’avais mis le cava au frigo et déballé le saumon pour libérer son parfum. Il me fallut une demi heure pour faire ce qu’il me restait à faire et dans moins d’un quart d’heure Marlène arriverait à la gare des Guillemin.
Mais ce fut le moment où cela tourna au cauchemar. Impossible de démarrer la voiture. Je venais pourtant de faire un aller retour à l’hôpital sans problèmes et là, plus rien, juste un petit clac quand je tournais la clé mais de bruit de moteur, aucun. Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi juste à ce moment, alors que je n’avais pas de temps suffisant pour prendre un bus ou appeler un taxi. Le sort s’acharnait sur moi. Dans d’autres circonstances, j’aurais pu appeler Marlène sur son mobile, lui dire de prendre le bus, mais aujourd’hui ! La laisser venir et à son arrivée devoir lui expliquer le miroir, l’hôpital, les chihuahuas, le pignon. Non, il fallait que j’aille la chercher, que je mette à profit le trajet de la gare à la maison pour lui expliquer. Je la connaissais, elle me plaindrait, elle me dirait « mais mon pauvre chou, fallait pas faire tout cela pour moi, pourquoi toujours te donner tant de mal… ».
Ahmed, le voisin d’en face, portait sa petite fille à l’intérieur de la maison et je m’aperçus qu’il avait laissé tourner le moteur de sa voiture. Je n’hésitais pas une seconde, sautais dans son auto et démarrais en trombe. Dans le rétroviseur, je vis Ahmed sortir en courant, agiter les bras et puis rester stupéfait au milieu de la rue. Je lui expliquerai, il comprendra et qu’il comprenne ou non, je n’avais pas le choix et tout cela finirait par s’oublier.
Il m’arrive souvent dans des moments de terribles stress ou de fortes émotions, d’avoir des pensées complètement saugrenues, de m’attacher à des choses sans importance aucune au regard de la situation vécue. C’est ce qui se passa en passant devant la station d’essence, je compris enfin que le mot NITNIT que je voyais depuis quinze jours sur les calicots sans que j’y prête réellement attention, était en fait TINTIN que le lisais sur l’envers du calicot. Ce n’est qu’à ce moment que je pris conscience des illustrations des personnages d’Hergé qui ornaient le calicot. Mais il fallait que je fasse attention, je roulais trop vite, dans une voiture que je ne connaissais pas bien. Jusqu’à présent, tout ce qui était arrivé, était des accidents dont je n’étais pas totalement responsables ou du moins étaient des catastrophes involontaires que l’on pouvait ranger dans l’ordre des accidents domestiques. Bon de fait la fuite de l’hôpital était limite de ce point de vue, mais les conséquences ne concernaient que moi et je n’infligeais rien aux autres si ce n’est l’inquiétude que cela pourrait créer chez Marlène. Mais « l’emprunt » de la voiture d’Ahmed, relevait d’un autre type de comportement. C’était presque de la délinquance. Je pensais en roulant à tombeau ouvert à l’expression que Marlène employait souvent, même en forme d’humour : « mais tu es fou ma parole ! ». La plupart du temps, c’était badin. Mais il était arrivé une fois ou l’autre ou elle me le disait et je voyais chez elle un regard scrutateur, interrogateur, qui signifiait clairement « mais tu n’es pas fou quand même ? » ou même « mais oui, tu es fou !». Etais-je fou ? Malgré les apparences, dans les lacets qui descendaient vers la ville et dans lesquels je n’arrêtais pas de faire crisser les pneus, je pensais que non. Je ne crois pas être fou. Tout au plus, parfois des fractions de secondes de perte de consciences, d’absences, des trous ou des petites cases manquantes, parfois un refus presque volontaire de réfléchir à ce que je fais, aux conséquences de tel ou tel désir auquel la réflexion me ferait renoncer. J’ai toujours eu une volonté farouche de sortir des sentiers balisés, de tenter du neuf, de créer, d’inventer, de sortir des carcans et des contraintes. Mais était-ce là de la folie ? Je ne pouvais pas ou ne voulais pas le croire.
Mais dans un dérapage, je venais de heurter une voiture à l’arrêt. Les dégâts devaient être considérables, Je ne pouvais cependant pas ralentir, j’allais arriver d’extrême justesse à la gare et pourtant, je n’étais pas au bout de mes peines. Les travaux ! L’accès à la gare était en travaux ! Je devais me garer à 250 mètres de la gare et c’était impossible, je serais en retard, Marlène me chercherait sur le quai, dans la salle des pas perdus, sur l’esplanade. Non. Je connaissais ces travaux, je savais qu’au-delà des barrières, le rond point en béton était déjà réalisé et le béton avait durci. Ils le coulaient le vendredi quand j’étais venu au point-vélo. Je décidais de foncer. Avec suffisamment d’élan, je passerais les barrières, atterrirais sur le rond point et de là, encore un bond pour me retrouver devant la gare. C’est le contraire qui se passa. La voiture s’encastra dans les barrières qui se plièrent sous les roues avant et la voiture heurta le béton de plein fouet. Malgré les airs bag, je fus projeté au travers du pare brise, et me cognais contre une machines rangée là. Je me relevai péniblement et me mis à monter en boitillant l’escalier extérieur conduisant aux quais.  Je sentais le sang couler sur la figure et le long de mon bras, mais je savais que l’anticoagulant me protégeait d’une hémorragie. Stupidement, je me demandais comment réagirait le ciment blanc de Calatrava aux tâches de sang ? Je fus sur le quai numéro un en même temps que le train en provenance d’Ostende et Bruxelles, dans lequel voyageait Marlène. Mais deux policiers que je n’avais pas vu venir, me plaquèrent au sol et ma tête cogna violemment le béton.
C’est à ce moment exact que je me suis réveillé en nage et il me fallut un certain temps pour me rendre compte que j’étais bien dans ma chambre. Le soleil passait en jaune pâle à travers les tentures d’écru. Le réveil électrique indiquait « Dimanche 31 octobre, dix heures dix ». Marlène rentrerait dans huit heures de ces cinq jours de travail à Londres. La pelouse était encombrée de feuilles mortes, je fis signe à Ahmed qui nettoyait sa voiture, les bords du miroir de l'entrée scintillaient au soleil et j'entendais les chihuahuas d'Hélène s'égayer dans leur jardin.