jeudi 31 mai 2012

ça se met en place


Merci pour vos nombreuses réactions (positives) à mon histoire de boulanger.
Quelques nouvelles concernant le restau.
-          Tout se met bien en place et les corps de métier se succèdent. Les travaux de gros œuvre seront terminés la semaine prochaine, interviendront alors électriciens, plombiers…
-          Dés notre retour d’Espagne le 4 juillet, les plafonnages restants et les peintures seront mis en route…
-          Et nous aurons encore des jours devant nous pour regarder, décorer, déplacer, acheter un meuble ou l’autre, etc.
Seul hic et il est de taille : il semble que nous aurons des difficultés à obtenir l’ouverture électrique en date !!! A cause du tour de France !! La ville aurait interdit toute nouvelle ouverture avant le tour. Après ce sont les congés du bâtiment !!! Fou hein ! Si quelqu’un a un tuyau ou une idée…
Allei, comme vous êtes des fidèles, je vous dévoile quelques éléments :
Il y aura 50 places dans la première salle. Une autre salle, visible mais séparée pourra accueillir des groupes, jusque 35 personnes.
Le bar fera 4 mètres. Je penche pour du marbre noir ou du blanc. A voir pour la résistance aux taches. Il y aura des mange-debout en plus. (Il y en a qui ne veulent manger que sur les mange-debout). Les deux salles auront une vue directe sur la « scène » pour les spectacles ou les soirées dansantes. Il y aura aussi une terrasse dans la ruelle qui est piétonnière, elle fera plus ou moins trente places. Sur le temps de midi, la ruelle est au soleil.
Il y aura un parking pour …les vélos. Pour les voitures, le parking Saint Georges est à 15 mètres et Como en casa offre une réduction.
Nous ne serons pas ouverts les soirées du lundi au vendredi sauf pour les groupes d’au moins 15 personnes. Mais les locaux peuvent être loués pour des réunions. Nous serons donc ouverts du lundi au samedi midi et les vendredis et samedis soirs. On sera ouvert le matin tôt pour ceux qui veulent café, croissant et gazette
Il y aura des produits spécifiques « Como en Casa » à consommer sur place ou à emporter.
Bon, plein de choses encore mais je ne vais pas tout vous dire. Je vous parlerais bien de la Déco mais je préfère vous laisser la surprise. Si vous trouvez que c’est bien, vous le direz hein !!
Bon, sauf problème électrique, l’ouverture a toujours bien lieu le 18 août. Vous pouvez déjà réserver. Ce sera un menu dégustation, le même pour tous, plus un spectacle, plus une soirée dansante…

jeudi 24 mai 2012

Et je devins boulanger (4 et fin)


Un jour, Gilbert me demanda de l’accompagner chez sa vieille mère. Il avait été alerté par Marcel, son cousin livreur, qui passait deux à trois fois par semaine prendre son café chez sa tante Denise, mère de Gilbert.
Quand nous arrivâmes chez Denise, nous la trouvâmes en pleur, complètement frigorifiée, son feu au charbon s’était éteint, pas moyen de le rallumer depuis deux jours. La maison était vieille, petite, mal isolée, il y faisait plus froid que dans la chambre froide de la boulangerie. Nous amenâmes donc Denise qui s’installa ainsi pour plusieurs mois chez Gilbert et Andrée. Celle-ci n’appréciait pas trop la présence permanente de sa belle mère, d’origine paysanne, dans son intimité. Denise se faisait discrète et passait ses journées au fournil pour nous y aider comme elle pouvait. J’en parle, car je m’attachai à Denise, cette pauvre vieille, le menton en galoche, le corps plié sur le côté gauche du fait de problèmes à la hanche et elle-même d’ailleurs s’était attaché à moi et nous vivions ainsi une forte complicité. Dans le fournil elle était au chaud, de temps en temps, nous dégustions en cachette des pâtisseries qu’elle écrasait comme elle pouvait avec ses mâchoires édentées. Gilbert était heureux de voir sa mère en sécurité et pas trop seule dans l’ambiance froide et hostile que développait Andrée.
La boulangerie Evrard-Vandermaelen connut dés ma deuxième année d’apprentissage une très forte expansion. Coup sur coup, trois artisans boulangers durent cesser leurs activités propres pour des raisons techniques :
Le premier d’entre eux, Prosper Melon, que tout le monde appelait Lucky Luck, âgé de plus de septante ans, se retrouva sans four, le sien ayant définitivement rendu l’âme. Il avait un minuscule atelier, encombré, d’une crasse indescriptible, sombre et où la farine n’avait plus été balayée depuis des années. Les cafards courraient partout et l’odeur dominante quand on entrait était le rance. Quand nous le visitâmes pour y récupérer du matériel, nous constatâmes que rien, n’était récupérable. Depuis des lustres Lucky Luck, vivait seul,  fabriquait son pain seul et partait ensuite le livrer. Une septantaine de pain par jour et deux tournées de clients qu’il livrait avec une vieille Ford Taunus break.  Invariablement, Lucky portait un costume de gros velours, une cravate ficelle et un chapeau style cowboy, des santiags et une moustache à la Dali mais que lui portait blonde, épaisse et brunie par le cigarillo qu’il avait constamment au coin de la bouche. Prosper demanda à Gilbert de lui cuire son pain, qu’il continuerait à livrer et ils trouvèrent un arrangement. Cela nous fit donc quelques kilos de production supplémentaire.
Le petit fils de Melon, Jacques, fit la même démarche. Il était propriétaire d’une boulangerie de village, son four demandait à être réparé et voyant que le deal entre son grand père et Gilbert avait l’air de fonctionner, il fit le même marché avec Gilbert et un pétrin de deux cents kilos vint s’ajouter à notre production.
Louis et Ghislaine étaient des cousins d’Andrée installé dans la même ville et exploitant une petite boulangerie non loin de chez nous. Leur mode de vie et de travail étaient à l’exact opposé de celui de Prosper. Si ce dernier trainait avec lui la réputation d’avoir forniqué au moins une fois avec chacune des ses clientes qu’il livrait en journée, donc en l’absence du mari - du reste cette réputation de coucheur  accompagnait tous les livreurs  - ce n’était pas le cas de Louis. Quand on les observait, il apparaissait évident que Ghislaine portait le pantalon, que Louis lui était aussi soumis qu’un enfant et si d’aventure il jouait là un double jeu, il n’y avait aucune chance pour qu’il en profite car Ghislaine l’accompagnait dans ses tournées de livraison et le tenait à l’œil dés la première heure jusqu’à la dernière de la journée. Leur atelier de boulangerie était aussi opposé à celui de Prosper que ne l’était le mode de vie.  Quand je le visitai pour la première fois, alors que la porte d’entrée de l’atelier était assez semblable à la nôtre, j’eus des difficultés à y voir un fournil. Il y faisait propre comme dans une salle à manger. Pas une poussière de farine n’y traînait, les diverses surfaces, y compris la devanture du four, était garnies de napperons blancs immaculés,  les platines semblaient comme rangées dans un vaisselier…On eut dit une pièce à vivre, un décor pour pièce de théâtre  et il était difficile d’imaginer qu’on y avait pétri, fariné, graissé des platines et défourné du pain.
Désormais, même le lundi, nous cuisions jusque 12h ou 13 heures, car à ces sous traitances, vinrent s’ajouter de nouvelles clientèles que Gilbert avait repris d’autres boulangers en fin de parcours. C’était les débuts des grands chambardements dans le monde artisanal à cause de la concurrence des grandes surfaces qui s’installaient dans la région. Gilbert avait fait le pari que pour s’en sortir, il fallait grandir. L’équipe que nous formions avec Simon fut renforcée avec l’arrivée de Jean Luc, plus spécialisé en pâtisserie qu’en boulangerie, fanatique d’Eddy Merckx et d’Anderlecht à un point qui était insupportable au commun des mortels et faisait de lui un raciste stupide et violent dés que Gimondi ou tout autre Ocana menaçaient la première place de son idole. Ce fanatisme irrationnel nous valut des journées de tension terribles qui empoissonnaient l’ambiance. En dehors des périodes cyclistes, nous formions un trio de bons amis solidaires.
L’expansion changea très fort l’ambiance de travail et les rapports avec la famille de Gilbert et Andrée. La production et la productivité était devenue nos plus un plaisir mais une pression constante. Nous râlions tous les trois de voir le travail bâclé, les fours poussés à fond, les pains trop vite enfournés et trop vite cuits. Nous n’eûmes aucunes difficultés avec Lucky Luck qui abandonna très vite ses tournées pour les céder à son petit fils Jacques. Mais tant celui-ci que Louis et Ghislaine se plaignaient – auprès de moi, n’osant le faire auprès de Gilbert - du résultat et du pain que nous leur fournissions. Quand vous enfourniez des pains sur le four (sur la pierre) en les serrant trop près l’un de l’autre, ceux-ci collaient ensemble, se « mariaient » et lors du défournement, il fallait les séparer et la mie apparaissait, souvent sur quatre côté. On appelait cela une « brisure ». Ni Jacques, ni Louis et Ghislaine  ne voulaient de brisure dans leur pain. Il voulait un pain rond, pas trop étalé, mais plutôt bien boulé, doré sans noirceurs et surtout sans brisures.
J’eus, un jour que la production leur apparut bonne, le malheur de dire que j’avais assuré la forme et la cuisson. Je devins dés lors leur interlocuteur, le confident de leurs mécontentements, le réceptacle de leur doléance, le responsable du résultat. Nous faisons, avec Simon et Jean Luc, l’impossible pour assurer un bon travail et nous arrangions autant que faire se peut, pour écarter Gilbert des tâches stratégiques tels que façonnage et enfournement. Ce n’était pas toujours simple.
Peu à peu, Louis et Ghislaine firent leur deuil de leur métier et leur clientèle fut répartie parmi les trois livreurs. Jacques Malon, avait acheté un petit bâtiment industriel et y installa une toute nouvelle boulangerie, avec un magasin comme nous n’en avions jamais vu. Son fils avait terminé ses études de boulanger au Ceria à Bruxelles et leur commerce prospéra d’année en année.
J’étais devenu un professionnel. Notre formateur de pratique professionnelle, nous invitait souvent dans son fournil où nous échangions entre apprentis nos bonnes pratiques. J’étais de loin le boulanger le plus formé, mais d’autres étaient bien plus forts que moi en pâtisserie, en chocolaterie ou en confiserie. Nous nous formions l’un l’autre. Mais nous en profitions aussi pour partager nos «états d’âme.
A une époque, de grands travaux de voierie eurent lieu dans le quartier ou se trouvait la boulangerie. L’entrepreneur chargé du carrelage des trottoirs, demanda à Gilbert s’il était possible que les ouvriers utilisent ses grands garages pour se changer, y entreposer leurs effets et y prendre leur repas. Nous nous retrouvâmes ainsi durant quelques semaines, avec une dizaine d’ouvriers carreleurs (beaucoup d’origine italienne ou portugaise). Quand je quittais mon travail, je les voyais et admirait leur savoir faire, la vitesse avec laquelle ils posaient le ciment, mettaient de niveau, passaient au carrelage suivant.
Après quelques jours, où ils se sentirent plus à l’aise avec Gilbert, ces ouvriers, avant d’aller travailler, venaient nous voir et nous regardaient travailler. J’étais le plus souvent au façonnage. J’avais acquit une technique et une vitesse d’exécution phénoménale. Une automaticité des gestes et une aisance absolue. Finis les doigts du début qui collaient à la pâte et dont je n’arrivais pas à me dépatouiller. J’arrivais à « sécher » la pâte (on appelait sécher la pâte le fait de l’empêcher d’être collante) avec une infime quantité de farine dont je faisais un nuage plein de finesse. Finis d’écraser le pâton du poing, je les laissais reposer en les dispersant sur la table et dés qu’ils amollissaient, je les faisais tourner et virevolter du bout des doigts, sans avoir l’air d’y toucher et les retournaient dans les paniers où les disposait sur les plaques. Un jour un ouvrier carreleur s’exclama « vous avez des doigts en or ». J’en fus troublé, je ne m’y attendais pas, je n’y avais pas réfléchi vraiment, mais cela m’émut. Ce vous avez des doigts en or, était presque un couronnement. Moi, dont on disait qu’il ne serait jamais un manuel,, j’étais devenu un artisan, un professionnel, un boulanger de chez boulanger.
Epilogue
A l’époque, j’étais payé 500 frs/mois et c’était le cas pour la plupart d’entre nous, apprentis, dans quelques professions que ce soit, quelques soient les heures assurées, quelque soit notre niveau de formation. Or, je n’avais plus grand-chose à apprendre au-delà de la première année. J’étais devenu aussi efficace que n’importe quel ouvrier et sans doute plus agile et rapide vu mon jeune âge. De plus, les formations m’apportaient des informations sur des nouveautés technologiques. Les visites d’entreprise de productions de matières premières ou de technologie en boulangerie m’ouvraient un savoir auquel ni Gilbert ni Jean Luc et Simon n’avaient accès. Je maudissais l’exploitation dont j’étais, nous étions, victimes. Le fait de côtoyer son patron chaque heure de chaque jour, ne rendait pas le conflit et la revendication possibles. André Vermeulen, un autre apprenti boulanger devint aussi actif que moi dans le développement du « syndicat des apprentis » dont j’avais lancé l’idée. Il fallut encore attendre 4 ans avant que le nouveau statut fut élaboré et mis d’application. A l’époque, il prévoyait qu’aucun apprenti ne pouvait gagner moins de 4500fb/mois (j’en gagnais 500) la première année et ce salaire allait progressant les années suivantes.
André Vermeulen ne connut pas le nouveau statut. Il s’était tue sur la route avec sa nouvelle voiture.
Après mon apprentissage, je quittai la boulangerie, on m’avait proposé de devenir permanent dans un mouvement de jeunesse défendant non seulement les apprentis mais les jeunes dans quelques secteurs qui soient : la JOC. J’y appris un tout autre métier : celui de l’animation, de la militance, de l’organisation … On disait de la JOC qu’elle était l’université des jeunes travailleurs. C’était vrai.
Je retournai deux fois, durant chaque fois une semaine, travailler chez Evrard-Vadermaelen. Presque immédiatement, je retrouvai les gestes et les automatismes.
Trois ans plus tard, ma mère m’apprit que la mort de Gilbert. Cette annonce me prit au dépourvu, mon frère aîné se moqua arguant que je n’allais pas pleurer mon ancien patron quand même ! J’écrivis un mot de condoléances à Andrée et toute la famille, qui fit pleurer ma mère.
Plus tard, je revis de temps en temps Fernand qui avait repris les affaires, avait diminué la production pour travailler avec le moins d’ouvriers possible. Fernand paraissait traîner avec lui une tristesse sans fin.
Un jour, je rencontrai Fernande et André, derrière un étale sur la marche. Ils vendaient de faux bijoux et des verroteries  qui leur permettaient de se faire un complément de revenus. Fernande me raconta en détail sa rupture avec sa famille, à la mort de son père. Elle avait malgré tout gardé son sourire et sa bonne humeur, et semblait porter un André complètement passif
J’allai enfin saluer Andrée. Elle avait vieilli, se tenait au coin du feu, et on sentait que l’énergie l’avait abandonnée. Albert et Marthe, ses parents étaient morts eux aussi, ainsi que Denise la maman de Gilbert. Andrée me dit qu’elle n’avait que de bons souvenirs de la période où j’avais travaillé chez eux.
Elle me permit d’aller revoir le fournil. Il était propre. Rien n’avait changé si ce n’est une nouvelle lamineuse pour étendre les pâtes. Je fermai les yeux longtemps, je retrouvai les bruits des platines qui claquent, des coups de spatule qui découpait la pâte, de la bouleuse qui tournent, les rires de Simon et de Jean Luc, les cris d’André lors de l’accident, le bruit de la taule qui roule sur ses rails. Je songeai au chemin parcouru depuis, aux combats menés, aux milieux parfois prestigieux que j’avais fréquentés, aux voyages dans le monde, à celui que j’étais devenu et que je n’aurais jamais été si j’étais resté boulanger.
Je respirai, elle était là, faible mais bien présente. L’odeur, cette même odeur qui m’avait accueillit le premier jour, il y a si, si longtemps. Et pourtant il me semble encore que c’était hier.

jeudi 10 mai 2012

Et je devins boulanger (3)


Outre Fernand l’aîné, Gilbert et Andrée avaient trois filles. Chantal qui suivait Fernand, était fine, jolie et élégante. Elle travaillait à Bruxelles, nous ne la voyions que lorsqu’elle venait dire bonjour et au revoir à son père, vers les sept heures, avant de partir prendre son train. Elle allait se marier quelques mois après mon arrivée et elle est celle que j’ai le moins connue. Fernande – et oui, c’était un prénom fétiche dans cette famille puisque la femme de Fernand s’appelait aussi Fernande, ainsi donc que sa deuxième sœur. Elle était grande, forte sans être grosse et avait une chevelure de feu. Elle terminait ses études, et durant les congés scolaires, elle m’aidait souvent quand il s’agissait de couper et d’emballer les pains. Elle était deux ou trois ans plus âgée que moi mais sommes néanmoins devenus amis et le sommes restés après que j’aie quitté la boulangerie. La dernière, Marie Anne, avait à peine six ans, elle était très souvent dans le four avec nous, à vouloir jouer à cache-cache. Elle adorait se cacher dans les armoires de fermentation ou dans le pétrin, où un jour, elle finit par faire …son petit pipi.
Fernande, la sœur de François, nous présenta un samedi son fiancé André. Il travaillait comme comptable dans une entreprise de Bruxelles. Un samedi, à 5 heures le matin, André se présenta, en chemisette, prêt à nous aider. Il travailla ainsi quelques semaines à mes côtés, je lui apprenais à reconnaître les nœuds et à faire les gestes répétitifs qui n’ont maintenant plus de secret pour vous. Daniel appris assez vite mais cru, trop vite, tout savoir et était décidé à nous en remonter. A l’époque, Pierre VDM était déjà parti faire sa vie avec Laurette et Simon l’avait remplacé. Simon travaillait très calmement, ne courrait jamais mais était un faux lent. La production suivait, son temps de découpe n’était pas supérieur au mien ou à celui des autres. Simplement, il était économe de ses gestes et ne s’excitait pas inutilement. André de son côté, voulait plaire au patron, son futur beau père, il faisait du zèle, trop de zèle. Son attitude nous faisait autant rire qu’enragé. Il prenait son petit déjeuner en quelques minutes et nous montrait ainsi du doigt : « voyez comme ils gagnent du temps de pause ». Très vite les incidents arrivèrent. Simon râlait de plus en plus, l’ambiance devenait électrique dés qu’approchait le vendredi. En effet de plus en plus souvent, André prenait congé de son entreprise pour travailler avec nous le vendredi et le samedi. Le premier incident fut sans gravité mais coûta vingt litre de lait et une bonne quantité de pudding : pour préparer la crème pâtissière, nous faisions bouillir le lait et préparions à part un mélange de lait froid, de pudding et de sucre. Nous versions ce mélange dans la casserole d’eau chaude dés que le lait se mettait à bouillir. En pratique, nous savions plus ou moins combien de temps était nécessaire pour que le lait bout.  Chacun, qui passait près de la casserole, prenait la spatule en bois pour tourner dans le lait et l’empêcher de brûler. Quand le lait était prêt de bouillir, Simon prenait le seau avec le mélange froid et se postait devant la casserole attendant les gros bouillons. La plupart d’entre vous le savent, si vous versez le froid avant que le lait ne bout, c’est fichu, votre pudding est raté et il est pratiquement impossible de le rattraper. Vous le savez, mais André ne le savait pas. Nous assistâmes, Gilbert et moi à la scène : André jugea que Simon perdait (ou gagnait) du temps à touiller dans son froid, arriva derrière lui, lui arracha le seau des mains et le versa dans la marmite. Nous n’eûmes que le temps de crier NOOOON !, il était trop tard. Il eut beau tourner et touiller encore, rien n’y fit, le pudding était fichu. En fait, pour les petites quantités, il est possible de le rattraper en utilisant la maïzena mais pour 20 litres, la quantité de maïzena nécessaire aurait dénaturé le pudding. Gilbert ne supportait pas les conflits et les tensions et cette fois-là comme toutes autres fois, il disparut rapidement pour aller conter ses malheurs à Andrée qui venait alors au fournil essayer de remettre un peu de calme. Mais l’ambiance se dégrada encore et la tension monta d’un cran les semaines suivantes. Le deuxième incident aurait pu être grave et Simon aurait pu être blessé : Les armoires à paniers mesuraient plus de deux mètres de hauteur, un mètre septante de largeur et quatre vingt centimètres de profondeur. Elles étaient lourdes mais facile à déplacer grâce aux solides roulettes dont elles étaient pourvues. Nous les disposions l’une devant l’autre pendant la fermentation. Avant de venir placer la seconde devant la première, nous « farinions » les pâtons. Il s’agissait de saupoudrer les pâtons de farine, ce qui les empêcherait de coller à la pelle au moment de l’enfournement. C’est ce à quoi était occupé Simon quand André arriva, sans crier gare et beaucoup trop rapidement, poussant la deuxième armoire. La trop grande vitesse l’empêcha de la retenir et elle vint écraser Simon, pris en sandwichs entre les deux chars, comme nous les appelions parfois. Heureusement, un réflexe permit à Simon de s’arcbouter et d’encaisser le choc sur l’arrondi du dos. Sans cela il aurait été littéralement écrasé de la tête aux pieds comme le coyote dans les dessins animés. Chacun y alla de son engueulade, tentant de provoquer un choc salutaire chez André et de l’emmener ainsi la raison. Même Fernande, avertie, vint lui dire qu’il fallait travailler plus calmement et qu’il ne servait à rien d’aller plus vite. De fait, rien n’aurait pu de toute façon accélérer la cuisson des pains qui occupaient le four.
Simon menaça de remettre son tablier si cela arrivait encore. André s’excusa, promettant que cela n’arriverait plus.
Mais le pire arriva et seul André en paya les conséquences. Cette fois-là, Simon avait en mains le crochet pour sortir les tôles du dessous sur lesquelles nous enfournions les platines. Il y avait trois courtes opérations à mener. Ouvrir, grâce aux contrepoids une porte basculante, tirer en arrière à l’aide du crochet le chariot sur lequel posait la tôle et enfin, à l’aide du même crochet, tirer la tôle sur les rails du chariot. La tôle était chauffée à 250 degrés car le temps d’enfournement allait faire baisser la température de vingt degrés. Nous comprîmes de suite qu’André jugea de nouveau Simon trop lent à la manœuvre. Il l’écarta d’un coup d’épaule et au lieu de se saisir du crochet, empoigna la tôle à pleines mains. Nous hurlâmes tous. Nous hurlâmes de douleur car nous savions ce que c’était que de se brûler. Cela nous arrivait presque quotidiennement de toucher la tôle avec la main ou de nous brûler avec une platine… La brûlure faisait l’effet d’un choc électrique qui vous vrillait le coude et parfois les épaules. Mais, quand nous nous brûlions, nous n’avions fait qu’effleurer la tôle ou la platine. André l’avait empoignée, violemment, à pleines mains. Elles y restèrent collées durant au moins une seconde. Tout en hurlant, nous nous précipitâmes, Gilbert, Simon et moi, pour le soutenir et le tirer en arrière. Il était livide, au bord de l’évanouissement. La chair collée à la tôle fumait. Il souffrait horriblement, mais nous souffrions aussi, des coudes et des épaules et tentions de ne pas imaginer ce qu’il avait ressenti. Andrée, Fernande et les livreurs avaient entendus les cris, le fournil fut envahi. Chacun y allant de son  mon Dieu quelle horreur. C’est Germain qui dicta le jugement définitif : « Gilbert, vous ne devez plus le laisser travailler au four ».
Les femmes amenèrent André à la cuisine. Nous le retrouverions deux heures plus tard, assis sur une chaise à l’entrée, les coudes posés sur les genoux, les paumes des mains tournées vers le haut et recouvertes d’une épaisse couche de graisse de lapin. Il garda des cicatrices aux mains. Nous ne le vîmes plus à l’atelier. Quand il se maria avec Fernande, il quitta son entreprise et vint travailler comme livreur pour la boulangerie de ses beaux parents. Deux ans plus tard, il fut victime d’un gravissime accident de la route, il lutta durant deux mois entre la vie et la mort, s’en sortit avec des lésions et des handicaps tels qu’ils lui interdirent de travailler à jamais.
(à suivre)

mercredi 2 mai 2012

Et je devins boulanger (2)


Peu à peu, je m’habituai au rythme et aux horaires de travail. La fin août approchant, je dus annoncer ma décision définitive de renoncer à l’école de jour pour signer un contrat d’apprentissage de trois ans. J’aurais deux après midi de cours, un de cours généraux, un autre de cours techniques.
Je me levais donc chaque jour vers deux heures trente - deux quarante cinq, pour commencer mon travail à trois heures. Quand j’arrivais au four, Gilbert avait déjà fait tourner un pétrin et nous pouvions commencer le pesage et façonnage après avoir rempli les armoires de paniers et de platines. Nous, c’était Pierre et moi. Fernand avait déserté l’atelier pour reprendre sa tournée de livraison. Au moment où j’avais débuté, il ne faisait que remplacer Pierre qui avait pris une semaine de vacances. Les autres livreurs avaient pris chacun une partie de la tournée de Fernand et Fernand ferait de même pour eux quand ils prendraient leur congé. Les congés d’été étaient donc une période  compliquée pour l’organisation du travail et il était exclu que quelqu’un prenne plus d’une semaine de vacances.
Pierre était le neveu d’Andrée et de Gilbert, les patrons. Il était le fils de Germain, un des camionneurs livreurs, frère d’Andrée, dont le nom de famille était Vandermaelen. Je m’aperçus d’ailleurs assez rapidement, que tous les travailleurs de cette boulangerie appartenaient à la famille. L’autre camionneur livreur, Marcel, était le cousin germain de Gilbert dont le nom de famille était Evrard. Nous étions donc à cette époque trois à travailler à la production : Gilbert, Pierre et moi et trois aux livraisons, Fernand, Germain et Marcel, dans la boulangerie Evrard-Vandermaelen. Pour compléter le tableau, il faut ajouter la présence permanente, dans la cour par beau temps, dans le fournil par temps froid, d’Albert VDM, père d’Andrée, d’origine flamande, fondateur de la boulangerie. Il habitait avec sa femme Marthe la maison d’à côté, mais une porte au fond de sa cour lui permettait d’accéder directement à la boulangerie. Malgré ses quatre vingt cinq ans, Albert passait une bonne part de ses journées à balayer la cour ou le fournil ; dans la cour il s’agissait de ramasser les mies de pain tombées des chariots, dans le fournil la farine qui volait partout. Il parlait peu et veillait à ne pas marcher sur les plates bandes de son beau fils qui avait pris sa succession. Marthe se montrait peu et heureusement, car presque chacune de ses apparitions donnait lieu à des incidents avec nous et les deux ouvriers qui plus tard viendraient renforcer l’équipe de production.
Pierre Vandermaelen était âgé de 18 ans, il avait un  handicap aux jambes qui le faisait marcher sur la pointe des pieds, ses talons ne touchaient pour ainsi dire jamais le sol. Cela ne l’empêchait pas de se déplacer vite et d’être très efficace dans le travail. Il avait les yeux rieurs et était gentil et amitieux. Il était dans la boulangerie comme un poisson dans l’eau, m’aidait quand il le fallait. J’appris plus tard que Germain, son père, avait lui aussi exploité sa propre boulangerie, mais son penchant pour la guindaille et les femmes l’avait conduit à la faillite. Gilbert avait alors absorbé sa clientèle et engagé  Germain comme livreur. Pierre VDM avait donc grandi pour ainsi dans le « four » de son grand père d’abord et de son père ensuite et connaissait toutes les facettes du métier. La pelle, la spatule, le rouleau à tarte et la poche à douille étaient pour lui des prothèses qui l’avaient accompagné dès son plus jeune âge.
Pierre aimait aussi s’amuser, sortir, danser, et avait une petite amie prénommée Laurette. Elle allait sur ses 17 ans. Pierre me parlait souvent d’elle et de leurs rencontres. Je fus méticuleusement tenu au courant de l’évolution de leur relation. Je suivis au long des semaines, grâce aux récits détaillés de Pierre, leurs découvertes corporelles mutuelles, l’évolution de leurs caresses et de leurs jeux érotiques. Souvent, Pierre arrivait le matin avec un sourire béat sur la figure et les yeux à demi fermés de fatigue. Jusque six ou sept heures du matin, nous travaillions sans prononcer un mot, dans un état second, comme des somnambules.
Le lundi était la journée de travail la plus courte. Nous ne produisions aucune pâtisserie. Nous terminions la dernière fournée vers 9 heures trente ou 10 heures et le temps de nettoyer, je rentrais à la maison vers 11 heures. Le mardi, nous préparions, après le pain, dix à douze kilos de pâte feuilletée qui nous servirait pour les pâtisseries de fin de semaine. J’appris, peu à peu, à faire la pâte feuilletée qui devint d’ailleurs, après quelques mois, mon domaine réservé. Nous disposions d’un petit pétrin de 30 kilos qui nous permettait de mélanger les petites quantités de pâtes pour les petits pains briochés, les pistolets, les baguettes, mais aussi les pâtes à tartes, les pains spéciaux et la pâte pour feuilletés.
La pâte feuilletée était la pâte dont la recette était la plus simple puisque nous n’ajoutions à la farine que de l’eau et du sel. Quand tout était mélangé, de façon plus ou moins homogène, nous arrêtions le pétrin pour éviter que la pâte ne devienne trop élastique. Ensuite, après l’avoir laissée reposer une demi-heure, il s’agissait de l’étendre sur le marbre, de couvrir le tiers du milieu de la nappe ainsi obtenue de beurre qu’on appelait beurre de tourage ou beurre de feuilletage. Il s’agissait en fait d’une graisse à base d’huile de palme qui s’étendait facilement sans se déchirer. Nous reliions sur le beurre un deuxième tiers de nappe que nous recouvrions également de beurre et sur lequel nous repliions le troisième tiers. Dès cette opération terminée, nous donnions à la pâte son premier tour : il s’agissait de nouveau d’étendre la pâte sur le marbre, sur tout le marbre dont la dimension était d’un mètre vingt sur quatre vingt centimètres, et de replier la nappe en trois dans le sens de la longueur et en trois dans le sens de la largeur. Ca s’appelait un tour de neuf, il fallait en « donner » - c’était le terme employé – trois.. Il existait d’autres méthode de tourage, par exemple le tourage en croix, mais dont nous considérions le résultat de piètre qualité. Peu à peu, le métier venant, je mettais un point d’honneur à ce que ma nappe soit parfaitement rectangulaire, évitant les arrondis au coin, pliée de façon impeccable, brossée et débarrassée de la farine de séchage entre chaque pli. Le mardi même, après le graissage des platines, je donnais un second tour à la pâte, la réemballait dans une grosse feuille de plastique et la remettait dans la chambre froide.  Je lui donnais son troisième et dernier tour dès que je pouvais disposer de quinze minutes le mercredi matin. En chambre froide, la pâte feuilletée pouvait se conserver deux à trois semaines. Nous en prélevions des morceaux selon nos besoins. J’étais furieux quand parfois, je constatais qu’on avait coupé un morceau de pâte n’importe comment, qu’on l’avait « déchirée », (« déchirer » une pâte était l’erreur professionnelle impardonnable, quelle que soit la pâte), mal emballée et que de ce fait, le bord avait parfois séché ; ou quand Gilbert lui-même, pour prendre de l’avance, donnait le troisième tour le mardi soir et que la pâte était mal pliée, certaines feuilles étant alors plus courtes que d’autres. C’était exactement comme si le premier pli d’une nappe n’était pas exactement en son milieu, tous les autres plis étaient décentrés. A force de critiquer et de me plaindre du travail bâclé, j’obtins que plus personne ne touche à mon feuilleté et que l’on passe obligatoirement par moi pour en faire des prélèvements.
Le mardi, nous terminions la journée vers 13heures ou 14 heures, car, au-delà du pain,  nous devions graisser les platines. Le mercredi, nous préparions déjà, après la dernière fournée, les pâtisseries à base de feuilleté : frangipanes, coins aux abricots et tartelettes au maton par exemple, nous mettions cuire les fonds feuilleté pour certaines tartes et les feuilles qui allaient nous servir pour les glacés. Nous cuisions également les quinze à vingt litres de riz pour nos tartes du lendemain.
Le jeudi, nous confectionnions tartes et pâtisseries pour les tournées du vendredi, mais aussi quantité de pains briochés et de pistolets. Les spécialités de la maison étaient la tarte au sucre et la tarte au riz, mais nous faisions également de nombreuses tartes au fruit ou à la crème pâtissière. Notre préparation de riz pour la tarte était tout à fait particulière : nous cuisions le riz dans du lait et laissions refroidir. Nous ajoutions ensuite les jaunes d’œuf (trois par litre de riz) le sucre (150 gr par litre) battions les blancs en neige et mélangions le tout après y avoir ajouté de l’essence d’amandes ou d’orange selon les souhaits des clients. Cela donnait un riz très léger, que nous versions dans les fonds de tarte et mettions cuire dans un four chauffé à vif. Il fallait saisir et coloré, une cuisson rapide évitait que le riz ne sèche. Grosso modo, le jeudi nous « sortions » 120 à 150 tartes. La journée se terminait vers 16 heures, elle avait commence à 3 heures le matin. La journée la plus longue était celle du vendredi, nous devions « sortir » plus de deux cents tartes, quand il n’y avait  pas de commandes spéciales, et quantité de pâtisseries : cygnes, merveilleux, bavarois de toutes les couleurs et saveurs, éclairs au chocolat mais aussi pains briochés,  piccolos, pistolets, cramiques, craquelins, couques aux raisins, … Souvent s’ajoutaient à cela des gâteaux à la crème au beurre, ou aux fruits et à la crème fraîches, des marbrés (que j’adorais également préparer) et autres gâteaux. Inutile de vous dire que quand se présentaient les mois des communions solennelles, de mariage, de fêtes de Pâques ou de Noël, les journées du jeudi et du vendredi se terminaient parfois vers 22 ou 23 heures. Il est arrivé plus d’une fois que nous passions la nuit, sans rentrer à la maison, sans dormir, et relancions la production de pain sans avoir fait la moindre pause.
Le samedi était de nouveau une journée assez courte – le magasin n’ouvrait pas le dimanche et il n’y avait pas de livraison à domicile, sauf exception. Nous étions une boulangerie avant tout. Nous ne produisions que les pâtisseries les plus courantes, nous ne faisons ni chocolateries, ni confiseries, ni pâtisseries fines, ni pièces montées (c’est au cours que j’appris ces autres techniques). La clientèle était dispersée dans les villages des alentours, population ouvrière et rurale, aux goûts simples et qui  souvent, privilégiait la quantité à la qualité. La nourriture, et en ce compris les pâtisseries,  se devaient d’abord d’être simples et nourrissantes.
Le travail était éreintant, les horaires épuisants. A certaines périodes, j’étais obsédé par le sommeil et je me demandais si un jour viendrait encore où je pourrais dormir, dormir, dormir. A côté de mon travail, j’avais mes copains que je voyais peu, mais surtout je m’étais engagé dans un mouvement de jeunesse qui me prenait beaucoup de temps et j’avais moult réunions en soirée. Je rentrais parfois à minuit et plus et me levais à deux heures trente le matin. Quand je rentrais du boulot, quelque soit l’heure, je m’effondrais et dormais profondément. On me réveillait vers 17 heures pour que j’aille retravailler deux heures pour couper et emballer les pains, et ensuite, j’allais à mes réunions. J’avais ainsi des horaires complètement décousus. J’avais l’impression de vivre dans l’ombre et l’obscurité, dans un état second, pendant que mes frères et mes amis paraissaient avoir une vie normale, se reposaient quand ils étaient fatigués et s’amusaient dans les soirées au lieu de s’endormir comme c’était mon cas.
A cette fatigue qui m’empêchait de raisonner sereinement, ou du moins aussi normalement que possible, je vivais les doutes et les tourments de mon âge. Celle qui était ma meilleure amie et qui pour moi était plus qu’une amie, m’annonça qu’elle était enceinte du guitariste d’un groupe de rock de la région. Ce fut mon premier chagrin d’amour, j’eus l’impression que le monde s’effondrait. Après cette déception, l’amour m’obsédait. Allais-je rencontrer un jour la femme de ma vie ? Pas en tout cas durant les trois années que je passais à la boulangerie

Un jour, alors que nous n’étions que nous deux dans l’atelier, enfournant les pains à la pelle, Pierre, qui n’avait pas encore ouvert la bouche durant les cinq heures que nous avions déjà prestées, me dit tout de go « J’ai fait l’amour avec Laurette sur le siège arrière de la voiture de mon père. Je crois que je ne me suis pas retiré à temps et que le premier jet est allé à l’intérieur, j’ai peur qu’elle soit enceinte. » Il ajouta, « Ça a été tellement vite, je ne m’y attendais pas ». Il souriait en haussant les épaules, l’air de dire, quelle histoire !!!Je savais que Pierre n’inventait rien. Je sentais poindre chez lui à la fois fierté et inquiétude. J’étais trop au courant du cheminement des dernière semaines et de la progression de leurs attouchements et de ses découvertes sous vestimentaires pour douter de ce qu’il venait de m’annoncer. A sa place j’aurais été catastrophé. Il prit cependant la chose avec philosophie et attendit sereinement de savoir ce qui allait se passer. Six semaines plus tard, Pierre annonçait son mariage avec Laurette qui était enceinte d’un garçon, elle aurait dix huit ans quelques jours avant l’accouchement. Je fus invité à la fête. A cette époque, presque toutes nos copines de 17 ou 18 ans se retrouvaient enceintes et se mariaient précocement, avec des garçons qui avaient toute autre chose en-tête. On commençait à parler pilule contraceptive, mais elle ne s’adressait certainement pas aux jeunes filles. Le rock et la pop avait initié le triomphe du jeunisme, la permissivité s’élargissait. Les mariages et les divorces se firent de plus en plus précoces.
Pierre et Laurette prénommèrent leur premier garçon Michel. Ils reprirent une petite boulangerie dans un village des environs et conduisirent suffisamment bien leur barque pour en vivre pas si mal que cela. Dix neuf ans plus tard, Pierre VDM se retrouva en chaise roulante, complètement paralysé des jambes, on ne pouvait plus rien y faire. Michel, son fils prit la relève à la production, Pierre l’aidait comme il pouvait dans sa chaise. Il passait les après midi sur le trottoir devant le magasin, à bavarder avec les uns et les autres, toujours avec le sourire et la gentillesse que je lui avais connu. De temps en temps, je m’arrêtais pour le saluer et nous souvenir du passé. Laurette accoucha de deux autres enfants qui, sans aucun doute, furent conçus dans le lit matrimonial et non plus à l’arrière d’une Ford Taunus. De chacune de ses grossesses, Laurette garda quelques kilos. De jeune fille elle devint une femme ronde et forte,  portant la maisonnée, servant au magasin, appréciée des clients et du village tout entier.
Pierre parti, Gilbert engagea Simon, qu’il connaissait déjà bien, puisque Simon avait été, comme moi, son apprenti. Simon avait la trentaine, une allure de rockeur, les cheveux roux coiffé à la Elvis Presley. Nous allions devenir avec Jean Luc, autre rockeur, à la tête frisée façon Jimmy Hendricks, qui nous rejoindrait plus tard, de véritables amis et complices dans une aventure qui ne faisait que commencer.
Après les fêtes de fin d’année où nous avions travaillé de façon absolument démente, je dus me rendre chez le médecin, victime d’épuisement. J’avais des vertiges fréquents, des maux de tête et fit part à Gilbert de ma peur de m’effondrer sur la taule du four. Après une prise de sang et différents examens, le docteur Jounet conclut à une anémie mais fit part à mon père de sa crainte que je ne sois en dépression profonde. Il me conseilla de trouver quelqu’un à qui parler et de négocier une réduction de mon temps de travail. Je restai six semaines au repos et repris ensuite le travail sans aucun changement de rythme.
Après Jean Luc, une autre personne allait nous rejoindre les WE à la production. Avec lui vinrent les incidents permanents et les tensions. Après coup, nous pûmes les juger risibles même si plus d’une fois, on évita de justesse la catastrophe.
A suivre…