jeudi 28 mai 2015

l'araignée sera dans l'assiette ce WE

C'est mon fils, boucher de formation, propriétaire du Rouge Gourmand à Braine le Comte, qui a insisté pour que je la déguste: l'araignée de porc.
Il y en a deux par animal. C'est un morceau dont on parle peu et que l'on voit assez peu car on dit de l'araignée qu'elle est un morceau de choix que le boucher ou le charcutier se garderait pour lui. Mais en la commandant, votre artisan n'aura aucun problème à vous en fournir!
L'araignée est un morceau souple qui fait parfois penser à du blanc de volaille mais en plus fin. Elle se trouve à l'arrière du porc, dans la cuisse que l'on appelle aussi jambon. Dans la cuisse, vous avez le jambon que l'on présente en tranche, la rouelle, le rôti, l'escalope et la fameuse araignée, située près de l'aine, dans le creux de l'os du bassin. Elle dépasse rarement les 600g et quand elle est nettoyée il n'en reste que la moitié. C'est donc un morceau rare, qui demande un long travail de préparation tant en boucherie qu'ensuite dans la cuisine. Pour l'avoir dégustée, je peux vous dire que son goût et sa texture sont d'une grande finesse. Et qu'en plus évidemment, Como en casa va y apporter sa touche avec une sauce dont la cheffe a le secret. 
Il y aura aussi ce WE, le mille feuille de légumes en entrée. Vous savez, c'est un assemblage de courgettes et d'aubergines, tranchées finement, rissolées à l'huile d'olive et assemblées avec des poivrons rouges, en mille feuilles. Entre les feuilles, de la feta comme on en trouve que chez nous (bio) et un mélange d'herbes dont nous avons le secret. C'est vous qui le dites souvent: c'est fin, c'est délicat, c'est délicieux. 
Allei, vos réservations au 04/2320004 

mardi 26 mai 2015

Quelques anecdotes tirées de mes carnets

Dimanche 24 mai 2015. A l’approche de Dinant où nous allions voir l’expo consacrée à Andy Warhol (un peu courte d'ailleurs), venant de la sortie d’autoroute Achène, dans la zone commerciale hors ville, une friterie, elle appartient à Ivan. Elle est presque suffisamment grande pour qu’on la prenne pour une brasserie. Le nom de l’établissement : « Ivan des frites ».
Dimanche 3 mai. On me pose souvent des questions sur le bâtiment que nous occupons pour Como en Casa. Il s’agit des anciennes usines des cafés Chat noir et des thés Vanzujlen, du nom de la famille de l’évêque de Liège de l’époque. Le petit pont dans la rue de la Poule reliait l’usine aux bureaux et magasins. Si vous entrez dans le rue des Brasseurs, vous verrez au-dessus de la première porte, une enseigne taillée dans la pierre, un chat noir et plus loin au-dessus de la seconde porte, les initiales de Vanzujlen En 1958, le café Chat noir fut acheté par les suisses qui construisirent une nouvelle usine et abandonnèrent le bâtiment qui fut donné semble-t-il aux antiquaires Saint Georges, chassés de leur magasin et logements pour laisser place à la construction de l’Espace Saint Georges, cité administrative et musée. Fin des années quatre-vingt, l’antiquaire vendit la moitié du bâtiment côté Hors Château pour se replier côté Féronstrée. Une famille de Bruxelles acheta le côté Hors Château mais n’en fit rien. Celui-ci resta vide près de 25 ans, jusqu’à ce que Mimob, la société immobilière de Laurent Minguet, l’acquit et que nous y installions Como en Casa. Il y a une dizaine d’année, l’antiquaire cessa toute activité et la partie Féronstrée fut acquise par Eric Lecuyer qui y installa son restaurant.
Lundi 21 avril 2014. J’apprends samedi, par le propriétaire de la petite maison en face du garage de notre restaurant que G. a cessé ses activités et que le rez de chaussée est à louer. Ainsi il n’y aura plus de « poule » à la rue de la poule. Selon certains, elle tient son nom des activités des prostituées qui y tenaient « vitrine » à l’époque où la Citadelle était encore une caserne. Les soldats descendaient les escaliers de Bueren et venaient voir les filles aussi bien à la rue de la Poule, qu’à la rue des Airs ou à la rue de la Rose. Une cliente, qui avait fréquenté l’institut Sainte Croix, me racontait qu’à l’époque, les religieuse leur intimaient l’ordre de rester sur le trottoir de droite en allant vers la Place Saint Lambert et d’éviter ainsi les ruelles où régnaient le péché. J’avais fait la connaissance de G. dés le début des travaux à Como en casa. Elle allait sur ses  82 ans et poursuivait ses activités uniquement pour ses "vieux clients" me dit-elle. Je compris ainsi que je n'avais donc aucune chance. Je voyais de temps à autres arriver ses clients-amis dont un penché très fort sur sa canne, un autre qui se tenait droit et fier. Ces derniers temps, il était arrivé que G. s’absente quelques jours. Un matin je la vis arrivé avec une hématome à l’œil et au nez. Elle me dit qu’elle était tombée mais j’en doutais. Puis quelques temps après elle s’est mise à perdre du poids de façon inquiétante et elle décida d’arrêter toutes activités.
Ce samedi 2 mai 2015, une prostituée a été retrouvée morte, complètement nue dans une voiture près de l’évêché. Le principal suspect a 33 ans, est marié, père d’un enfant et mène une vie sans histoire. Il semble qu’il avait bu ce soir-là et dit ne plus se souvenir de ce qu'il s'est passé exactement. C’est ce fait divers qui m’a fait penser à G. J’ai aperçu G. il n’y a pas si longtemps dans le quartier où elle habite. Elle est donc encore vivante et je pense bien que ses « vieux » clients lui manquent et qu’elle-même leurs manque.

mardi 5 mai 2015

La pluie, la boue, la mort

Hier, je me suis rendu au CARHOP (Centre d'Animation et de Recherche en Histoire Ouvrière et Populaire) qui gère la plupart des archives provenant des organisations liées au MOC (Mouvement Ouvrier Chrétien). J’y ai récupéré mes récits de voyage en Haïti. Dans les années 80, j’ai été à cinq reprises en Haïti, en mission pour Solidarité Mondiale, ONG liée au MOC. Durant ces séjours, j’ai rempli des cahiers en tentant d’y raconter ce que  j’y voyais. Certains de ces cahiers ont été diffusés sous forme de dossier A4. D’autres n’ont pas été diffusés. En parcourant ces notes, je suis tombé sur un texte écrit le jour même de ma première visite du plus grand bidonville de Port au Prince, construit sur les masses d’ordure entassée au bord de mer. La cité Simone à l’époque, du nom de la femme du dictateur François Duvalier, rebaptisée Cité Soleil après la chute du régime. Du temps du dictateur, les tontons macoutes, sorte de paramilitaires y régnaient en maître. Ce texte, que j’ai construit à partir de plusieurs témoignages, tente de traduire la misère quotidienne de ces haïtiens qui à l’époque tentaient de fuir cette misère vers les Etats Unis sur des barques de fortunes. Des milliers d’haïtiens sont morts en mer en tentant ces traversées. L’histoire n’en finit décidément pas. Tous parents qui voient leurs enfants mourir tenteront de les sauver et de les mettre à l’abri, au péril de leur vie s’il le faut.
« Hier 18 heures, la pluie, énorme, violente, les gouttes vous font presque mal à la peau. Des gens qui courent pour s’abriter mais il est trop tard. En quelques secondes, ils sont trempés .D’autres par contre, se mettent au bord des toits, en dessous des gouttières et se lavent, corps et vêtements, avec savon s’il vous plait.
J’emprunte la jeep du syndicat et je pars avec Prévina. On patine dans les côtes, des torrents d’eau sale et chargée de détritus dévalent les rues pentues de Port au Prince. On s’entasse dans le chaos des tap tap sur le boulevard JJ Dessalines. Sur le bord de mer, on devine le bidonville complètement inondé, les gens fuyant et espérant trouver refuge chez un parent ou un ami. Demain on mettra les matelas trempés à sécher sur le toit. Mais rien ne leur enlèvera leur odeur de merde et de vase.
Il faudra évacuer la boue qui a envahi la maison. Certaines d’entre elles se seront d’ailleurs effondrées. Il va falloir récupérer quelques bouts de bois, des morceaux de tôles ou à défaut des cartons. En même temps, il ne faudra pas oublier de chercher un peu de nourriture pour les enfants. Et aussi un médicament pour la petite qui a la diarrhée, une diarrhée qui lui vide complètement les intestins, qui l’affaiblit, qui lui donne la fièvre et des yeux vitreux. Des yeux qui ne comprennent pas, qui implorent en silence, qui disent papa, je suis si mal, qu’est-ce que c’est ? Mais papa ne peut rien faire, papa ne peut pas lui dire que son petit ventre se vide, que la vie s’en va avec cette diarrhée. Papa n’ose pas regarder maman qui gémit, qui dit qu’il faut faire quelque chose. Papa crie sur maman et sort pour ne plus voir sa fille, ne pas pleurer devant elle. Il court voir le prêtre pour demander un dollars, mais le prêtre a tout donné. Le docteur ne veut pas donner sans argent, ce n’est pas de sa faute si les enfants meurent dit-il. Papa insiste, mais rien n’y fait. Il pleut de nouveau et la pluie cache ses larmes. Il rentrera trop tard avec une banane. Il laissera sa femme pleurer et crier. Il aura le ventre tordu de douleur et d’angoisse, la poitrine déchirée. Elle est morte, ses yeux se sont fermés.
Demain ou un autre jour, il prendra sa femme dans ses bras, tendrement, il lui mettra du sperme dans le ventre pour faire un autre enfant et tenter d’oublier. Il lui dira qu’un jour viendra où cela ira mieux, on partira à Miami, à Boston ou à New York. Les enfants auront une maison dans laquelle l’eau ne rentrera plus pour l’inonder, il y aura un ventilateur pour rafraîchir nos nuits. La maison sera blanche, il y fera clair, on verra les arbres et les couleurs dans toute leur netteté et pas dans le flou d’aujourd’hui à cause de nos yeux pleins de misères et de larmes.
Mais maman ne verra plus rien dans sa netteté. Le militaire de la grosse maison là-bas, l’a prise ce matin, il l’a fourré pour trois dollars. Elle en aura encore d’autres si elle vient encore fourrer avec lui et encore plus si elle fourre avec ses amis. Elle ne veut plus perdre son autre enfant. Un jour il sera grand, médecin ou avocat, il verra la Guinée par-dessus la mer. Il balancera les cabanes pour construire des maisons où la boue ne rentrera jamais.

Papa n’entend rien, il ne le veut pas. Il revoit maman quand il l’a connu dans les mornes, un dimanche. C'était du temps des cochons, on mangeait à sa faim en Haïti. Elle avait une robe blanche, des papillons dans les cheveux. Elle était jolie, il l’avait déjà vue aussi avec une petite robe à carreaux rouges. Elle voulait aller en ville, ne plus dormir par terre, elle voulait un lit en fer et un ventilateur. Elle souriait de ses dents blanches et de ses grands yeux. C’était il y a longtemps, tellement longtemps. »