lundi 30 novembre 2015

journal d'un restaurateur (1)

Un restaurant est un merveilleux lieu de contact, de convivialité et pour le restaurateur que je suis, un fabuleux poste d’observation. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que je n’y fasse une rencontre intéressante. Une amie à qui je racontais quelques anecdotes survenues au resto, me dit, « oh c’est gai la façon dont tu racontes ». Je me suis alors dit mais pourquoi ne pas raconter cela, raconter ces choses de la vie quotidienne qui mettent un peu de gaieté dans ce monde qui ne va vraiment pas bien en ce moment. Je me suis mis à prendre des notes sur les clients et les conversations que j’ai avec eux, leurs habitudes aussi, et les faits qui sortent de l’ordinaire et que je retiens le plus. Je me suis retrouvé ainsi, après à peine deux jours, devant une sorte de journal. J’eus alors l’intention de le nommer « Le journal des clients », mais ce n’était pas tout à fait cela. Ce ne sont pas les clients qui écrivent mais moi qui écris sur eux. Alors j’ai décidé de l’appeler « Journal d’un restaurateur », cela me semble sonner plus juste. Il commence ce dernier vendredi 27 novembre. C’est une démarche délicate évidemment. Je devrai trier, car il me sera impossible de tout raconter. Je devrai faire attention à ne blesser personne aussi je respecterai l’anonymat des clients et utiliserai uniquement des initiales. Si des faits rapportés font rire, je veillerai à ne pas me moquer des personnes concernées. Bref, nous verrons à l’usage. N’hésitez pas à réagir et à tirer la sonnette d’alarme si vous le pensez nécessaire.
Ce vendredi 27 novembre, dès l’ouverture, sont arrivés A et D avec leurs enfants (déjà adultes) et ont occupé la table de six que j’avais réservée à leur demande. A est venu me voir au bar pour m’annoncer que lui et D venaient de se marier et qu’ils avaient décidé de fêter cela chez nous. C’était donc leur repas de mariage que nous allions leur servir. Ce choix nous a fait bien plaisir et bien sûr nous leur avons offert le cava. Ils nous ont dit en partant que ce repas était une réussite parfaite et P, une de leur fille de 28 ans a dit qu’elle n’avait jamais aussi bien mangé.
Est arrivé aussi un couple dont le monsieur m’avait laissé plusieurs messages me demandant de le rappeler car il avait des intolérances alimentaires. Il voulait vérifier qu’il pourrait manger chez nous sans subir de conséquences néfastes pour sa santé. J’avais tenté en vain de le rappeler. Aussi, dès qu’il fut installé, avant que je ne lui donne la carte du jour, il me tend une feuille A4 et m’explique que dans la colonne de gauche est reprise la liste des aliments qui lui sont interdits et dans la colonne de droite ce qu’il peut manger. Il mre demande de soumettre cela en cuisine. J’apporte ce papier à Marlène qui l’examine avec Benji, son second, (nous avons deux benjamins en cuisine aussi pour éviter toute confusion, nous appelons l’un Benji et l’autre Benja). J’avais oublié que Marlène confondait toujours sa gauche et sa droite et je ne savais pas que Benji avait la même déficience. Ce fut catastrophique et quand arrivèrent les ambulanciers, il était déjà trop tard. Mais non, je rigole hein ! Marlène et Benji identifièrent de suite les plats que le monsieur pouvait manger sans souci, il choisit le bœuf en croûte de pavot et sa farandole de légumes et la femme qui l’accompagnait choisit le filet de canette au porto avec sa poire au vin et son gratin de betteraves et patates douces. Ils se montrèrent plus que satisfaits et me dirent qu’ils ne manqueraient pas de revenir.
Après le service, nous terminons souvent la soirée autour d’un verre avec des amis qui sont là. Ce vendredi ce fut avec AF, O et un couple de jeunes architectes que nous connaissons et qui les accompagnait. Ce sont des trentenaires et la très jolie femme de ce second couple est enceinte de son deuxième enfant. AF nous a raconté son premier marathon qu’elle vient de réussir à Berlin. Elle en était encore émue et nous a expliqué que le livre d’Haruki Murakami, « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond » que je viens justement de lire, l’avait beaucoup aidé psychologiquement durant la préparation et les entraînements et l’a accompagnée mentalement durant l’épreuve. Mais elle n’a pas vécu le coup de bambou du trentième km que vit Murakami à chacun de ses marathon (et il en fait un chaque année). Au contraire, au trentième km, AF a pris conscience qu’il lui restait  12 km soit la distance qu’elle court habituellement trois ou quatre fois par semaine. Elle a donc fait ces 12 derniers km sans difficultés si ce n’est comme elle le dit, que ses jambes fonctionnaient mécaniquement sans que son cerveau ne soit capable d’encore intervenir.
Pour ne pas vous imposer dès ce premier extrait de mon journal une lecture trop longue, je vous parlerai une autre fois de nos clients du samedi midi (nous appelons le service du samedi midi le repas des pensionnaires, ce sont des habitués très fidèles auxquels viennent souvent s’ajouter des touristes de divers horizons). Par contre quelques mots quand même du dernier samedi soir.
Je me suis rendu compte durant la soirée qu’il y avait 20 flamands dans la salle : une table de quatre personnes venant de Malines, trois tables de deux et une table de dix jeunes femmes venues d’Anvers et qui logeaient à Soumagne. Elles étaient en tenue de ville impeccable, presqu’en tenue de soirée, fières de se trouver dans un resto branché et magnifiquement décoré (A ce propos, je vous conseille vivement de ne pas rater notre expo actuelle qui s’intitule « La malonga de los tangeros locos » (le bal des danseurs de tango fous) de très grands formats magnifiquement dessinés et colorés, d’Ermanno Orselli. Vernissage ce samedi 5 décembre à 18h30). Je leur ai dit que j’avais déjà reçu un groupe pareil au leur, elles m’ont demandé ce que je voulais dire par pareil, et quand je leur ai dit « un groupe de jolies filles », elles ont applaudis. Je pense souvent que quand on est en voyage ou en excursion, un repas réussi participe énormément à la réussite de l’ensemble du séjour. Que de fois n’ai-je entendu dire « j’ai été à…c’était bien mais qu’est-ce qu’on y mange mal ! ». Quand j’accueille des flamands, j’essaye toujours de glisser un mot ou deux dans leur langue, et il suffit d’un smakelijk pour qu’ils se sentent respectés et que surviennent de spontanés Danku vel.
Merci à cette émission « vlandere vakantie » qui a fait un reportage sur nous et nous amènent une clientèle assez importante.
Apres le service, nous avons pris un verre ou disons quelques verres avec une autre AF et M. AF est archéologue et nous raconte régulièrement ses voyages dans le monde. Elle a entre autres fait des fouilles en Syrie il y a quelques années. C’est dire si elle connait ce pays. M est prof à l’Académie de Liège. Comme il y a pas mal de nus dans les toiles sur le tango, M nous a raconté des tas d’histoire à propos des modèles vivants qui posaient pour les élèves de l’Aca. Comment un garçon a mis des mois pour enfin posé sans son slip et qui maintenant s’exhibe au maximum, de même que ces modèles féminins qui au début serrent bien leur jambes mais finissent par se décomplexer complètement et se moquent pas mal de se retrouver face aux élèves les jambes bien écartées. Contrairement à ce qu’on peut penser, il s’établit finalement un lien respectueux de la part des élèves envers leur modèle.  Je vous passe évidemment les détails croustillants rapportés durant cette soirée. AF et M sont parmi les clientes qui avec le temps sont devenues de véritables amies
Bernadette et Valérie sont venues souper au resto. Bernadette est une des initiatrices du Québec café qu’elle a quitté. Elle a aujourd’hui ouvert avec Valérie un autre établissement « K Fées » en ville, juste sur le côté de la Halle aux viandes. Elles y servent des petits déjeuners et brunch tout à fait originaux.

Allei, j’essayerai d’être plus régulier et vous livrer ce journal par petits morceaux. A très vite donc