mardi 24 janvier 2017

faire du pain c'est comme dompter un animal sauvage

La friture Romaria située au 194 de la rue Haute à Bruxelles, a vraiment tout d’un boui-boui. Affreuse façade avec son grand châssis en aluminium, tables intérieures en plastique vert et une allure générale de friture à la bonne franquette. Mais Nadia et moi – nous étions venus à Bruxelles pour passer la journée avec ma sœur Nadia qui vit à Nantes mais travaille comme intermittente du spectacle et est engagée pour 6 semaines à la Monnaie – avions été attirés par les plats que dégustaient trois personnes attablées près de la fenêtre. De plus une petite affiche jaunie, annonçait « cuisine portugaise ». C’était hier lundi et les deux ou trois restaurants que nous avions sélectionnés  avant de partir étaient fermés. Heureusement, Marlène, distraite par sa conversation avec Nadia, ne remarqua pas le comptoir frigo qui nous accueillait à l’entrée à moitié dégarni de quelques hamburgers, fricadelles, boulettes rabougris et pot de mayonnaise et de ketchup. Les deux hommes au comptoir nous accueillent avec des sourires gentils et nous nous installons dans le fond de la salle entourés de miroirs face à une fresque ratée représentant un Frank Sinatra  à la jambe atrophiée chantant près d’un bar où James Dean nettoie des verres derrière son comptoir et Maryline Monroe assise sur un tabouret sirote un wisky avec des genoux énormes mis en avant.
Voilà me suis-je dit,  un endroit où l’on ne rentrerait jamais mais où je sentais qu’on pourrait peut-être très bien manger. Le garçon, qui s’avéra être le fils du patron nous présente la carte nous disant, à gauche les plats « friteries », à droite les plats portugais. Je demande ce que mangent les personnes à l’avant, il me répond « Viande de porc à l’Alentejana ». Je lui demande si il est aussi bon que celui que j’ai mangé à Lisbonne, il me répond oui sans aucun doute. Je choisis donc cela, Nadia aussi. Marlène choisit le « bacalahau maison », le baccala est un de ses mets favoris. Commande prise le garçon nous apporte trois morceaux de pommes de terre trempant dans la sauce, en guise de mise en bouche. Nous en prenons chacun un et de fait c’est délicieux et très goûteux. Puis nous entendons les deux hommes s’affairer derrière le comptoir, c’est là que toute la cuisine se fait. L’attente est d’une demi-heure, ce qui nous rassure car cela signifie que ce n’est pas le micro-onde qui est mis à contribution. Les assiettes que l’on nous sert ensuite sont magnifiques, la fraîcheur transparait, le porc à l’Alentejana est délicieux, de petits morceaux de chorizo portugais leur donnent goût fabuleux. Quand le garçon me demande s’il est aussi bon qu’à Lisbonne, je lui réponds non, il est bien meilleur. Quant au baccalhau de Marlène, il est fabuleux, moelleux, frais, garni de tomate fraîches juste cuites ce qu’il faut et de chips de pomme de terre fait maison. Plus tard, le patron, père du garçon qui nous a servi vient s’asseoir près de nous, il nous expliquera que tout a été fait à l’instant, qu’il cuisine comme s’il recevait les gens chez lui, que le micro-onde ne sert que pour la friterie et qu’il va chercher au Portugal la majorité de ses produits et entre autres le baccala, le chorizo et les palourdes. José- c’est son nom- est bavard et comme moi je suis doué pour faire parler les gens, José s’assied pour nous raconter sa vie. Arrivé en Belgique avec sa femme et une seule valise en carton pour eux deux, des connaissances leur avait dégoté un petit deux pièces, sans meubles, sans lit, sans même une chaise et les premières semaines ils dormirent à même le sol. Chacun trouva du travail – au noir car à l’époque l’immigration était interdite pour les non membres de la communauté européenne - elle comme femme de ménage et lui comme plongeur et homme à tout faire dans un restaurant. Ils travailleront ainsi clandestinement jusqu’en 1988 année ou un couple d’italiens travaillant à la communauté européenne les aident à obtenir papier et permis de travail. Exploité pendant huit ans par différents restaurateurs, José décide avec deux copains de lancer ses propres restaurants portugais dont un à la place Jourdan qui connut un très beau succès. Mais un des trois associés fera main basse sur la caisse. José décide alors d’utiliser ses petites économies (sa femme a une emploi de femme à tout faire dans une école de la ville de Bruxelles) pour acheter une maison dans la rue Haute, le 194, où il installe sa « friture restaurant portugais » et c’est le succès. Il achète deux autres immeubles à appartements, il y case ses enfants et leur famille et maintenant commence à poindre la possibilité d’un retour au Portugal et la possibilité d’y vivre du fruit de ses années en Belgique. Entretemps, il y va régulièrement avec son camion frigo s’approvisionner de produits authentiques et du porto que produit son frère de 74 ans au bord du Douro. J’ai eu l’occasion de déguster ce porto de derrière les fagots. Et bien cela goûte le porto, ce goût que l’on ne retrouve jamais dans les portos des grandes surfaces. Il s’appelle José Rodriguez, il est le seul de sa famille de sept enfants à avoir quitté la ferme familiale, seuls lui et son frère aînés vivent encore et je vous souhaite de le rencontrer et de déguster sa cuisine familiale, comme à la maison. Demandez-lui s’il fait bien les plats « à l’instant ». Vous verrez. Il est ouvert 7 jours sur 7.
Ma deuxième journée de travail à la boulangerie s’est bien passée. Un vrai bonheur, à tel point qu’à un moment de la matinée, Philippe et moi, après avoir défourné la troisième fournée avec Anaïs, nous sommes dits : mais qu’est-ce que la vie est belle. Ses pains sont réellement exceptionnels. Flavia, une amie, me disait qu’elle avait avec le pain de Philippe l’impression de manger le pain de son enfance. Et bien je m’étais dit aussi que j’avais l’impression de manger le pain de Léona qui lorsque nous étions enfants, nous en découpait de grosses tranches qu’elle avait beurrées et salées et que nous dégustions avec les champignons crus que nous avions ramassés avec Octave.

A part cela, parmi les boulangers, court cette antienne qui dit que faire du pain, c’est comme dompter un animal sauvage. Et bien j’ai encore pu le vérifier ce dernier vendredi, j’ai fait des baguettes, pas mal, inégales, bonnes mais ce n’était pas tout à fait cela. Celles du bas du chariot étaient légèrement étalées, celles du haut plus arrondies. Chaque élément de l’environnement compte et il faut dompter ce mélange de farine, d’eau de levure et de chaleur qui produit un animal sauvage mais tellement bon quand il est cuit. Ah que la vie est belle, quand on fait de bonnes choses à ajouter Philippe. 

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