lundi 16 janvier 2017

Regressus ad futurum

Je vais tout vous raconter. Voilà, ce dernier vendredi, j’ai commencé (re) à travailler en boulangerie. Elle porte un beau nom « Un pain c’est tout », en Outre-Meuse, à la rue de la loi, c’est la petite rue qui longe le Colruyt sur la gauche. En y arrivant ce vendredi à 6h, en guise de bonjour, Philippe (le fondateur) m’a rappelé qu’il y a cinq ans exactement, le 13 janvier (comme vendredi dernier), on inaugurait la boulangerie et pour cette inauguration, j’y cuisais 80 focacciae qui ne suffirent pas à rassasier les invités plus nombreux que prévu.
Emotion bien sûr. Je regardais Philippe et son aidante Anaïs. Ils travaillent en symbiose parfaite, je les regardais et avais l’impression de me revoir auprès de mon patron, Gustave, il y a 50 ans exactement. Nous travaillions de 3 heures à 8 heures le matin sans pratiquement nous parler, chacun sachant ce qu’il devait faire. Quand nous prenions le petit déjeuner à 8 heure, j’avais l’impression de me réveiller, d’avoir travaillé comme un somnambule. Pourtant nous avions pétri, façonné et cuit près de 600 kg de farine et nous allions encore en travailler 200kg après le petit déjeuner.
Il m’a fallu à peu près une heure pour prendre mes marques et après une heure, mes automatismes sont revenus. Le paradis. Faconner, bouler, enfourner, défourner J’ai aidé à leur production habituelle de pains de campagne à base de farine du moulin d’Hollange, assez unique à Liège, de bun’s comme on appelle les pains pour hamburger (absolument délicieux), les tartes, miches, croissants etc. Durant les levées, j’ai fait tiramisu et focacciae puisque mon rôle consistera aussi à lancer de nouveaux produits et élargir l’offre.
Je vais y travailler tous les vendredis. De plus, deux fois par mois, les lundis à 17 heures, j’ animerai des ateliers avec Marlène. Nous avons définis quatre ateliers pour le moment : un atelier focaccia (y compris les farces), un atelier gnocchis et ses sauces, un atelier pâtes fraîches (y compris raviolis), un atelier tartes. Les dates précises seront fixées prochainement, mais si vous êtes intéressé(e), dites-le moi, on peut s’inscrire à un ou plusieurs ateliers mais on n’est pas obligé(e) de faire les quatre. Le prix tournera autour de 25 ou 30€ par atelier, chacun retourne avec sa production (3 focacciae par exemple). Ecrire à : mario.gotto@gmail.com
Allez savoir si c’est lié mais des souvenirs d’antan me reviennent. Quelqu’un a fait circuler sur FB des images de l’hiver 1962-1963. Ce fut l’hiver le plus long et le plus rude du vingtième siècle, il a gelé de décembre à mars. Je m’en souviens précisément. Ce souvenir de 63 est lié à un souvenir de l’hiver 60-61. C’est la grève générale en Belgique. LA grande grève. J’avais 9 ans et pas grande conscience de ce qui se passait jusqu’au jour où je me retrouve avec mes amis devant un groupe de travailleurs qui nous barrent l’accès aux grilles de l’école. On nous explique : c’est  la grève, vous pouvez rentrer chez vous,  pas école. Nous allions repartir tout joyeux de ces vacances inattendues mais voici qu’arrivent l’instit et le curé. Grosse discussion, cris, colère, bousculade et un des « piquets » empoigne le curé à la gorge et se prépare à le frapper de son poing droit. Nous avons peur, Nous aimons le curé qui s’occupe énormément de nous, qui nous fait découvrir plein de choses grâce au patro. Nous sommes paralysés. Les autres s’interposent, tout se calme et le piquet fini par se retirer et nous laisse entrer à l’école. Nous n’y resterons qu’une heure ou deux, le temps que l’on nous explique la grève et qu’on nous dise d’en attendre la fin pour revenir à l’école.
Deux ans plus tard, c’est le froid, le gel, le verglas. Rien ne circule tant la glace est épaisse. Pourtant, je continue à me lever à 6h30 pour aller servir la messe chez les sœurs. Le curé passe me chercher et nous parcourons à pied le km et demi qui nous sépare du couvent. Nous avons pris l’habitude de marcher sur la glace et nous dépassons un couple qui avance lentement avec difficultés. Le coréen ! C’est le coréen avec sa femme, le même qui deux ans plus tôt avait serré la gorge du curé. J’ai un peu peur de ce qui va se passer. Mais le coréen nous dit un gentil bonjour et nous demande comment nous nous y prenons pour marcher aussi vite sans tomber ? Faites comme nous répond le curé et vous verrez cela ira tout seul. Nous rions et chacun continue sa route. On l’appelait le coréen et j’imagine que c’était lié à ses convictions et à la pas si lointaine guerre de corée, je ne l’ai jamais bien su.
 L’hiver durait et une partie du chemin de l’école était engoncé entre deux prairies. Des congères de près d’un mètre se formaient et nous emballions nos pieds et bas de pantalons dans des vieux chiffons pour éviter de rester mouillés toute la journée. Voilà, je me souviens de l’hiver 63 et d’un bout de la grande grève de 60 et du coréen qui ne m’est pas revenu une seule fois en mémoire ces 55 dernières années. Et maintenant me revoilà boulanger. Comme dirait Bohumil Harabal « progessus ad originem equals regressus ad futurum ». Allei, pour le même prix, je vous donne l’extrait tiré de son livre « une si bruyante solitude » que je viens de relire et qui m’habite encore et que je vous souhaite vraiment de ne pas rater. Le personnage principal écluse des litres de bière et travaille à une presse à vieux papiers. Il y écrase des milliers de livres et tente d’en sauver autant que sa maison peut en contenir. Il s’arrange toujours pour qu’au milieu des ballots se trouve une œuvre d’un grand philosophe puverte à la page essentielle (il les invite tous bien sûr) et il fait en sorte qu’apparaissent sur les faces visibles des ballots des reproductions des grandes œuvres picturales de Ruebens à Picasso en passant par Gauguin et Pollock) qu’ainsi tous les pragois pourront voir quand les ballots sont transportés vers l’usine à papier.

”À partir d’aujourd’hui, te voilà seul, mon bonhomme, tu dois faire face tout seul, te forcer à voir du monde, t’amuser, te jouer la comédie aussi longtemps que tu t’accroches à cette terre; à partir d’aujourd’hui ne tourbillonnent plus que des cercles mélancoliques…En allant de l’avant tu retournes en arrière, oui: progressus ad originem equals regressus ad futurum, c’est la même chose, ton cerveau n’est rien qu’un paquet d’idées écrasées à la presse hydraulique.”

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