lundi 6 février 2017

Certaines apprirent à respirer

Les premiers objets que l’on peut qualifier de vivants sont apparus sur terre il y a trois milliards et demi d’années. C’étaient de minuscules gouttes issues de la « soupe » primitive (voir ma chronique de la semaine dernière). Ces gouttes ne se dissolvaient pas car les éléments la composant étaient rendus étroitement solidaires par l’existence d’une membrane. Parmi ces éléments, un brin d’ADN était porteur de l’information permettant de réaliser diverses protéines. Les bactéries présentes sur terre il y a trois milliards et demi d’années étaient semblables à celles que nous pouvons observer aujourd’hui (on a retrouvé des membranes pétrifiées). Difficile à accepter mais c’est grâce à ces êtres frustres que nous sommes présents. Ils étaient capables de se reproduire et c’était là leur arme essentielle : une bactérie qui peut se dédoubler toutes les vingt minutes aboutirait au bout de 24 heures à une population telle que serrées les unes contre les autres (elles font à peine un micron de diamètre) elles recouvriraient le territoire de la Wallonie.
C’est déjà une victoire inouïe dans laquelle le temps perdait toute prise pour exercer son pouvoir destructeur. Au lieu de résister au temps par l’inertie, comme les pierres simplement capables de durer, les bactéries narguaient le temps en faisant sans fin des doubles d’elles-mêmes.
Mais, problemo comme dirait mon grand-père, cette prolifération sans fin devint vite inquiétante, comme une tumeur qui grandit sans autre objectif que de croître et dans une uniformité terrifiante. Heureusement des erreurs se produisirent et ci et là des descendants d’une cellule naissaient différents, dotés de pouvoir que ne possédait pas leur cellule mère. La diversité s’accrut lentement. Elle permit l’interaction non plus seulement entre différents éléments à l’intérieur d’une bactérie mais entre bactéries elles-mêmes. Les différences apportèrent ainsi un ressort supplémentaire au déroulement de notre histoire. Au lieu de se dire « que le plus fort gagne », les bactéries comprirent qu’elles avaient intérêts à collaborer.
Grâce aux erreurs de reproduction, aux accidents de transmission, les bactéries ont mis en place au bout de quelques centaines de millions d’années une immense variété de souche. Elles avaient imaginé d’innombrables métabolismes. Associées en colonies riches de nombreuses espèces, elles pullulaient dans les milieux les plus extrêmes et chaque espèce faisait sa part : certaines s’adaptaient au froid, d’autres à la chaleur, certaines au milieu acide, d’autres au milieu basique, certaines trouvaient leur énergie dans la lumière du soleil, certaines produisaient des déchets que d’autres utilisaient comme nourriture. Certaines ont même été capables de fixer sous forme d’acides aminés l’azote de l’air, tandis que d’autres (et à la suite tous les êtres vivants) utilisaient ces acides aminés pour synthétiser les substances constituant leur organisme.
Les bactéries photosynthétiques  utilisaient au début l’hydrogène sulfuré rejeté dans l’atmosphère par les volcans. Quand cette source s’épuisa, des bactéries furent capables d’utiliser une autre matière première : l’eau. Mais la décomposition de l’eau donnait de l’hydrogène ET de l’oxygène, poison terriblement toxique. Apparurent alors les « cyanobactéries », plus connues sous le nom d’algues bleues, qui provoqua un véritable cataclysme planétaire. En quelques centaines de millions d’années la quantité d’oxygène fut telle que la plupart des espèces ne purent le supporter et disparurent. D’autres se réfugièrent dans des abris isolés de l’atmosphère. Elles connurent des mutations qui leur permirent de résister à cette accumulation de poison et même d’en bénéficier. Elles mirent au point des métabolismes basés sur l’oxydation et trouvèrent ainsi leur salut : elles apprirent à respirer.
A ce stade, la collaboration entre les différentes bactéries atteignit la perfection. De même que les déchets des unes étaient la nourriture des autres, les unes consommaient, en respirant, l’oxygène produit par la photosynthèse nécessaire à la survie des autres.
C’était il y a un peu plus d’un milliard d’années. La collaboration des bactéries entre elles avaient surmonté le problème que leur existence avait posé en transformant leur milieu. De l’oxygène, elles avaient fait un aliment. La suite va encore prendre presque un milliard d’années mais est assez facile à imaginer. La variété des espèces sera sidérante. Certaines resteront dans l’eau, d’autres en sortiront, en rampant, puis en marchant ou en volant, développant ensemble une merveilleuse planète faite d’une diversité inestimable. (Un autre changement majeur verra encore le jour pour notre plus grand bonheur c’est que si pour se reproduire, une bactérie donnait deux bactéries, (1 =2) avec le temps, il faudra deux êtres vivants pour en produire un nouveau (2=1). Eh, Eh faut pas grand-chose pour être heureux hein, quel beau cadeau nous a fait là la nature n’est-ce pas!!)
Mais l’essentiel était fait, les bactéries avaient inventé la respiration. En collaborant, les bactéries avaient ainsi dirigé l’aventure de la vie dans une voie irréversible.
Notre histoire a débuté il y a quatre milliards et demi d’. A l’échelle de l’histoire de la planète et de la vie, notre histoire contemporaine, disons même les deux mille ans qui viennent de passer, n’équivalent pas à un micron sur un mètre. Et pourtant, nous pourrions détruire ce que la nature a mis tant de temps à construire.
Elles ont bien appris à respirer, on apprendrait bien à collaborer non ?

(L’essentiel de ce texte est tiré du livre d’Albert Jacquard : La Légende de la Vie »)

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