lundi 29 mai 2017

J'ai pris la mer (II) et je vous écris d'Italie

(Suite de « J’ai pris la mer ». Voir mon blog : mariogotto.blogspot.com)
Il s’agissait de lancer, de laisser descendre le filet bien ouvert et ensuite de le remonter, alourdi par des tonnes d’eau et peut être quelques kilos de poissons. Je peinais à le lancer et encore plus à le ramener. Heureusement, je sortis assez vite quelques prises, ce qui m’encouragea. Le vieux, lui, fumait sa cigarette à l’avant et s’enfilait quelques gorgées de je ne sais quoi qui sortait d’une bouteille absolument crasseuse. Il avait déroulé ses filets et ne les remonterait qu’à la fin de la journée. Très vite, j’eus l’impression qu’il avait oublié ma présence sur le bateau. Heureusement j’avais deux grandes bouteilles d’eau avec moi et de quoi manger quand ce serait le moment.
Après une heure de cette gymnastique, j’étais épuisé, mes épaules me faisaient mal et je déposais le filet sur le pont en m’asseyant pour boire et souffler un peu. Je me demandais déjà ce qui m’avait pris d’embarquer dans cette galère. J’aurais dû m’en douter bon sang ! De nouveau je m’étais bercé d’illusion. Ma naïveté à propos des vieux pêcheurs, de leur sagesse supposée, de leur tolérance et de leur gentillesse, m’avait encore joué un mauvais tour. Je ne tombais jamais sur les bons moi. Rarement sur les truands non plus, d’accord. Mais sur les brutes oui, presque toujours ! C’est le moment que choisit le vieux pour me gueuler dessus. Je ne comprenais que quelques bribes de ses braiements « fainéant, profiteur, fous le camp de mon bateau, hijo de put… ». Là c’était trop, j’avais passé l’âge où l’on pouvait me traiter comme un gamin. Je me levais, m’avançais vers lui et  empoignais des deux mains le col de son ciré « Ecoute bien, je suis ici et j’y reste espèce de vieux connard ! Que cela te plaise ou non. Fais ton boulot, ferme ta grande gueule et fous-moi la paix où ça va mal finir » et je le repoussais fortement (il puait d’ailleurs comme cela n’était pas permis). Le mec ne parut même pas surpris, il continua à marmonner je ne sais quoi, retourna à l’avant et se remis à fumer et à siroter sa bouteille répugnante.
Nous étions prisonniers l’un de l’autre sur ce bateau et le resterions jusqu’au retour au port, il en prenait sans doute son parti comme j’en prenais le mien. Plus que sûrement, ce type de relations violentes faisait partie du monde marin me disais-je.
Après un peu de repos, je me remis à lancer ce trop lourd filet de plomb et à le ramener. J’œuvrais à mon aise, de façon régulière et sans zèle excessif. Après tout, j’avais un travail à accomplir durant ces dix heures en mer, je voulais m’en acquitter sans m’épuiser ni m’esquinter pour autant, c’était mon rêve à moi et non à cet espèce de Popeye alcoolo. Il avait accepté de me prendre à bord, pas question de gâcher cette occasion. L’avoir remis à sa place m’avait libéré de tout devoir envers lui. Le seul à qui je devais prouver quelque chose dorénavant, c’était à moi-même.
Je crevais mais commençais à travailler de façon routinière. Le job était harassant, au milieu d’une étendue infinie d’eau et sous un soleil de plomb. Je n’avais plus aucune capacité de concentration et allais le payer très cher. Au moment où je remontais le filet pour la énième fois, je m’aperçus trop tard de la présence d’un espadon, oh pas l’énorme espadon de 120 kg, mais un fameux espadon quand même qui devait avoisiner les 70 ou 80 kg et qui se mit à s’agiter furieusement dans tous les sens quand je tentais de sortir le filet de l’eau. Je lâchais un brin ma charge mais il me donna un terrible coup de tête. Je fus projeté dans l’eau plus vite que je ne m’en rendis compte. Je hurlais à l’adresse du vieux « je ne sais pas nager, aide-moi ». Je le vis  s’approcher et me regarder en ricanant : « remontes vite car je vais m’en aller sale fainéant » et quelques secondes après, j’entendis le bruit du moteur s’accélérer et vis de suite le bateau s’éloigner. Ce type était complètement cinglé, Je ne sais vraiment pas nager, je vous le jure, je sentais en plus qu’un courant m’emportait. Je fis la seule chose que je pouvais : la planche. Mais dans la panique, je m’agitais et l’eau recouvrait mon visage, j’avalais non pas des tasses mais des bassins d’eau salée, je toussais, crachais, étouffais, vomissais. Je me convainquis de garder mon calme, de respirer régulièrement, de bien tirer la tête en arrière. Je pleurais, me maudissais, maudissais cette vieille crapule. J’allais mourir, c’était couru. «C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme » disait la chanson. Après un temps que je ne pus mesurer, mon corps était gelé et paralysé par le froid. Dans la tension, j’avais tendance à vouloir me relever ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Mais la fin était proche, je le sentais. Je ne voyais pas ce qui pouvait me sauver, j’allais tout lâcher et me préparais à boire la tasse fatidique. Je pensais aux miens et espérais qu’ils ne soient pas tristes et qu’ils se disent que j’avais bien vécu et choisis mes aventures. C’est alors que j’entendis le moteur. Le bateau réapparut, lui à bord ricanant toujours, me hissant sur le pont comme un vulgaire paquet. Je lui crachais toute la haine dont j’étais capable et jurais d’avoir sa peau tôt ou tard. Je vomis mes boyaux sur le pont. J’étais transi de froid, épuisé et m’étendit sans demander mon reste sur le plancher gluant des tripes et des écailles de poissons. Le soleil eut vite fait de me sécher, je bus les deux bouteilles d’un litre et demi d’eau que j’avais pris avec moi le matin. J’en vomis la moitié mais cela me fit du bien. J’étais vivant, je n’en revenais pas. Le vieux ne me jetait même pas un œil comme si tout cela n’était que broutilles habituelles. Rentré au port, titubant, exténué je le quittais en lui souhaitant de tout cœur  de crever avec la moitié de la pêche dont j’étais malgré tout l’auteur. Le regard de Perjilo allait, réprobateur, du vieux à moi, l’air de penser « dieu sait ce que ce vieux fou a fait endurer à ce jeune type ». (C’est moi le jeune type, je n’arrive pas à m’imaginer autrement)
C’est ici que certains douteront mais pourtant, le lendemain j’étais à quai dès quatre heures. J’avais recouvert de crème les brûlures les plus importantes. Mais je me sentais d’attaque, l’aidais à dérouler les filets et à raccommoder les mailles comme il me le montrait. « Te v’là pêcheur maintenant, sale fainéant » me dit-il. Te v’là toujours aussi con vieux pourri, pensais-je sans le dire.
Nous appareillâmes à cinq heures et à six heures il jetait l’ancre à l’endroit choisi et évidemment je n’aurais su dire si c’était au même endroit que la veille. Les mêmes tâches se répétèrent. Il m’avait de nouveau imposé le filet rond et ses kilos. Aux premiers lancements, mes épaules hurlèrent des douleurs de la veille. Je ne me pressais pas pour le ramener. Lui se remit à siroter sa bouteille d’une crasse indescriptible. Plus tard je calculerais qu’il devait être neuf heures, quand je l’entendis hurler « ayudame, tengo un gordo » (aide-moi  j’ai du gros). Je me retournais et reconnu l’espadon de la veille. Je n’hésitais pas une seconde, me précipitais et d’un terrible coup d’épaule jetais le vieux, qui ne s’y attendait vraiment pas, par-dessus bord. «Hijo de puta (Fils de pute), je ne sais pas nager non plus » hurla-t-il de sa voix grasse. Je regardais son ciré se gonfler, ses mains battre l’eau sans succès et en quelques secondes, je le vis couler à pic et lâcher de grosses bulles d’air qui explosèrent à la surface.
Je balançais à sa suite les filets, les seaux et les bacs de plastiques remplis de notre pêche. C’était fait, j’étais seul maître à bord, maître d’un bateau dont j’avais tant rêvé. Pour une fois, j’avais tenu mon plan secret, n’en avais parlé à absolument personne et j’avais réussi. Je m’étais juré de me venger. Je hurlais de joie, comme un fou seul au milieu de l’eau : « je suis le plus fooooort !! Le naïf a gagnééééééé… » Je fis plusieurs fois le tour du bateau en courant, penché par-dessus bord, j’avais peur que par un miracle inattendu, le vieux ne remonte. Mais j’étais seul, il n’y aurait pas de mauvaises surprises. La mer avait pris ce salaud et m’avait offert une liberté inouïe. Je continuais à hurler ma joie en espérant que mes cris atteignent toutes les côtes de la Méditerranée. Seul Prejillo les entendit et se dit dans un sourire : « ce gamin (c’est moi) a bien joué son coup et nous voilà enfin débarrassé de ce vieux fou ».
Sans tarder, je devais mettre le cap sur l’île de Tabarca face à Alicante pour y faire le plein de carburant, nettoyer le bateau à fond et tenter d’enlever cet odeur de poisson en décomposition. De là, j’envoyais un message à Marlène « Suis vivant. Surtout pas un mot à qui que ce soit. T’appellerai dès que je serai à Pescara. J’ai un bateau à moi ». Mario est vraiment fou pensa-t-elle, mais elle ne le dit à personne.
Je n’avais aucune idée du temps qu’il me faudrait pour arriver dans les Abruzzes. Avec mon métier de boulanger l’argent n’était pas un problème, je trouverais du travail facilement si je m’arrêtais dans les ports. Je devais traverser la méditerranée en obliquant légèrement vers le Sud, en parallèle avec les côtes algérienne et tunisienne pour atteindre la Sicile. Je me guiderais sur le soleil, cela ne me faisait pas peur. J’eus à contourner la Sicile par le Sud, contourner la Calabre par la merveilleuse mer ionienne et, du port de Crotone, je pris en direct vers la pointe du talon italien que je contournai jusque Lecce. Je remontais enfin l’Adriatique, laissais derrière moi Altamura et Bari, passais Pescara et naviguais jusqu’à Rosetto degli Abruzzi et enfin le petit port de Martinsicuro.
J’y étais. Qui sait, peut-être  m’y cédera-t-on très vite une échoppe où vendre le poisson frais de mes futures  pêches quotidiennes.  
« Estas sonando Mario » (tu rêves Mario !) me dit Ines quand j’ouvris les yeux de ma sieste dans le fauteuil du salon.
« Que no, que no, tomé el mar y  os escribo de Italia » - Non, non, j’ai pris la mer répondis-je et je vous écris d’Italie.
Epilogue
Hier matin, la « Guardia civil » est venu procéder à mon arrestation suite à la disparition de Ramon, pour me présenter au juge en comparution immédiate. La sentence du tribunal qui fut prononcée le jour même peut se résumer en trois points :
1. Le monde n’est pas composé d’enfants de cœur mais d’hommes qui se battent pour vivre et se faire une place et une histoire. Il ne faut donc pas confondre la réalité avec l’Evangile ou les poèmes de Paul Eluard.
2. Il ne peut y avoir d’assassin sans cadavre. Pour le moment rien ne prouve que Ramon soit mort.
3. Si son cadavre devait un jour apparaître, je tiens à décréter anticipativement « la légitime vengeance » en faveur de  l’accusé, ce doux et incorrigible rêveur.
J’ai donc quitté le tribunal en homme libre.
Et je vous retrouve donc lundi prochain.



dimanche 21 mai 2017

J'ai pris la mer

Je sais, certains douteront de la véracité de cette histoire. Pourtant je vous la raconte telle qu’elle s’est déroulée. Vu les moments assez pénibles que j’ai vécus, je peux me tromper sur certains détails ou transformer certains éléments sans le vouloir. L’émotion brouille parfois la réalité. Mais l’essentiel s’est bien déroulé tel que je le décris. Je ne voudrais pas que vous abandonniez ce récit vu sa longueur, aussi je vous le livrerai en deux parties, en deux lundis.
Je commençais à cafarder. Je m’en voulais de mes trahisons et de mes infidélités. J’avais changé et allongé ma promenade du matin et au lieu de terminer celle-ci sur la place du vieux village, je l’y commençais. De sorte que le café où se réunissaient les vieux joueurs de domino était encore fermé quand je démarrais vers les 6 heures du matin. J’ai allongé mon circuit depuis le déménagement d’Ines, la mère de Marlène (elle vit désormais à 20 mètres du vieux village), et de retour du port, au lieu d’emprunter les ruelles escarpées du merveilleux quartier mauresque comme je le faisais auparavant en allant prendre mon café sur la place, je continue le long de la plage vers le Sud dans la direction du quartier Paraiso. Là je remonte  par de (trop) longs escaliers et prends mon café à la terrasse de la boulangerie Maja, sur des tables bien mises et servi par de jeunes femmes polies, sans surprises, bien propres sur elles avec leur chemisier blanc et leur tablier bordeaux. Des jeunes serveuses professionnelles qui n’ont pas encore connu les mauvais coups de la vie, les excès d’alcool, les nuits sans sommeil qui entraînent rides, poches sous les yeux et voix cassées.
Je m’en  voulais d’avoir laissé tomber la femme au corps et à la voix abîmés, (voir chronique du 26/12/16) qui avait ce charisme que l’on ne retrouve que chez les gens qui ont vécu. D’un ton rauque et la cigarette au bec, elle me devançait dans ma commande : « un café solo para el señor».
Ce n’était pas son café trop fort et mal torréfié que je regrettais. En fait ce n’était pas la femme non plus qui du reste m’avait plus que sûrement oublié. Non ce que je regrettais c’est ma faiblesse, cette faiblesse que nous avons tous à privilégier le confort et à refuser tout inconvénient et tout risque dans la vie quotidienne. Nous participons ainsi à ce que tout foute le camp : les cafés aux tables branlantes et patinées, les maisons personnalisées par des générations d’habitants (on vient encore de raser une maison traditionnelle le long de la plage pour y construire un cinq étages), le désordre et la spontanéité de la vie et des rencontres. Nous réclamons sécurité et ordre et ainsi le politiquement correct règne en maître. L’ordre vient de plus en plus d’en haut et des agences de pub. Un mode de vie, le même pour tous, s’impose : une vie uniforme – uniforme est le mot clé de l’époque je crois - servie par des gens en uniforme. Nous héritons ainsi de façades lisses, d’habitations fonctionnelles, de tables bien propres et alignées et d’un service impeccable et sans surprise. En un mot, d’une vie aseptisée. Je me promis donc qu’à défaut du café du matin, j’irai boire mon vin du soir chargé du bois décomposé du tonneau, chez ma copine à la voix rauque.
Mais je m’égare, revenons à mon histoire.
Donc, je cafardais et me disais qu’il fallait au moins que je réalise ce fantasme que j’avais cultivé depuis des années : celui de prendre la mer avec un vieux pêcheur, sur une vieille barque en bois peinte en bleu et blanc avec juste une cabine où s’abriter de la pluie ou du soleil. Je voulais vivre un moment seul avec un baroudeur plein de cicatrices, un homme d’expérience aux mains calleuses, qui m’apprendrait ne fut-ce que des bribes de la solitude en mer, de la pêche artisanale et de la lutte permanente contre les éléments. Dans mon désir et ma recherche d’authenticité, je me persuadais que le monde de la pêche et surtout de la pêche en solitaire était un des derniers lieux de résistance à la modernité. Je voulais connaître de près un de ces marins à la peau tannée, qui vend encore son poisson et ses calamars en direct sans passer ni par les camions frigo, ni les congélateurs des grandes surfaces, ni les bains d’ammoniaque (véridique cher lecteur, on blanchit les rondelles de calamar dans de l’eau ammoniaquée histoire que le consommateur ne voit pas trace d’encre pourtant naturelle et comestible- l’encre de seiche).
Depuis des années, je me rendais au port pratiquement chaque jour, je connaissais presque tous les bateaux, leur emplacement, leur couleur, la fréquence de leur sortie. Ils avaient pour nom Noëllia, Lazaro, Hortensia, Brillante… Mais durant toutes ces années, je n’avais jamais osé faire le pas et demander à quelqu’un de m’embarquer. J’hésitais à les aborder, je craignais de me faire rabrouer et, si pas, de me rendre ridicule une fois en mer quand serait venu le moment de manipuler les filets et de sortir les poissons.
Depuis longtemps, j’avais jeté mon dévolu sur deux bateaux : l’un, bleu et blanc nommé Ramon et l’autre rouge et blanc nommé Prejilo. Je penchais pour Ramon. Le bateau était légèrement plus grand, le bastingage plus haut et j’avais l’impression que j’y serais plus en sécurité. J’avais observé le vieux Ramon - si du moins le nom de bateau était aussi le sien - à plusieurs reprises. Il était complètement solitaire, semblait n’avoir aucun ami, ne parlait pas à ses collègues des bateaux voisins. Ce n’était pas le cas de Prejilo, souriant, aimable avec les autres et qui m’avait salué à plusieurs reprises lors de mes passages, il paraissait trop gentil et aurait sans doute tendance à me protéger. Moi, je voulais une aventure, une vraie, de celle qui me donnerait des cloches aux mains et des bleus au corps. Rêveur j’étais, rêveur je resterais.
Il fallait que je me décide, ces barques de pêches commençaient à se faire rares, les chalutiers avaient pris le dessus et les petits pêcheurs indépendants se faisaient vieux et ne dureraient plus éternellement. J’avais mis un t-shirt marin à la Picasso, mes jeans et mes baskets blanches, pensant ainsi séduire celui que j’aborderais. Ce n’est qu’au dernier moment que je pris conscience du côté bobo de cette tenue. Mais j’y allais. « Olà señor, Je peux vous parler ? Accepteriez-vous de me prendre une journée avec vous à la pêche ? » Le mec, occupé avec ses filets, me jeta un œil comme à un animal curieux et replongea dans son travail comme si je n’existais pas. Je lui donnais septante ou septante-cinq ans, il avait deux chicots tout bruns qu’on apercevait dans le trou noir de sa bouche et une barbe hérissée qui devait avoir dans les cinq jours. Il portait un ciré en forme de salopette sur des vêtements crasseux et troués. Après un temps qui me parut infini, n’obtenant aucune réponse, je m’apprêtais à renoncer et partir, c’est le moment que le type choisit pour dire sans lever la tête « Vale, salimos à las cinco » (Ok, nous partons à cinq heures). Je n’en demandais pas plus « vale, hasta manana à las cinco » lui dis-je et m’éclipsais aussi vite de peur qu’il ne change d’avis.
Je me présentais le lendemain à cinq heures tapantes devant le bateau après un sommeil troublé par l’angoisse et l’excitation de cette nouvelle aventure. Dans ma nuit agitée, je n’arrivais pas à démêler les filets, à en décrocher les poissons, à les distinguer les uns des autres pour les ranger dans les bacs en plastique prévu pour chaque catégorie. Et à la suite de cette agitation nocturne, j’étais fier d’être à l’heure et ne compris pas l’accueil du vieux. « Tu es en retard, je t’avais dit que nous partions à cinq heures, partir à cinq heures suppose d’être là dès quatre heures pour tout préparer, tu es un ignorant et un fainéant ». Ben, comme bonjour il y avait mieux, le type était froid et méprisant, parlait en hurlant, la voix grasse et sans doute regrettait-il de m’avoir dit oui la veille. Pourquoi fallait-il que je tombe toujours sur des « brut de coffrage » de cet acabit ? Je regrettais de ne pas avoir choisi Prejilo et me préparais à renoncer. Mais le vieux mis les gaz et fit mine d’appareiller sans moi, je sautais comme je pus sur le bateau et bien sûr me cognais le tibia contre le bastingage, juste là où le bord est renforcé par du métal. J’eus beaucoup de mal à cacher ma douleur et ma rage. Quel con, pensais-je tout en espérant ne pas être victime de cette agressivité toute la journée. Il regardait droit devant, comme si je n’existais pas, franchit les limites du port et navigua vers le large. Arrivé à l’endroit choisi, il jeta l’ancre et déroula ses filets.
J’avais la veille été rassuré par l’existence de poulies à l’avant du bateau. Elles servaient à dérouler et à ramener les filets ; j’avais trop en tête ces images de film où les débutants en mer ont soudain le pied enroulé d’une corde qui les entraîne à l’eau. Et voilà que le type me désigne un autre filet en me disant « toi, tu pèches avec cela et à l’arrière du bateau. Et surtout tu me laisses tranquille et tu ne viens pas dans mes jambes ». Il me présenta un filet rond, il faisait plus de deux mètres de diamètre et était lesté de plombs de forme ovales. Je le soupesais et encaissais le coup, on n’était pas loin des quinze kilos là. « Lance le bien haut et bien large fainéant si tu ne veux pas qu’il se replie sous l’eau ». Décidément, je voulais de l'arrache, j'avais de l'arrache. Cette journée s’annonçait rude pensais-je.
Allei, à lundi, faut que je me repose moi.

dimanche 14 mai 2017

Je connais des bateaux

Je vous écris d’Espagne où je suis arrivé il y a quelques jours. Je retrouve ce port que j’adore et où j’essaie d’arriver tôt chaque matin avant le départ des bateaux. Je ne résiste pas à l’envie de vous partager une merveilleuse métaphore qui raconte les bateaux. Elle parle de la vie, de l’amour, de la mort. Elle parle de la liberté, de l’aventure, de la peur de l’aventure, de l’attachement, de la fidélité. J’ai trouvé ce texte parmi les papiers d’une jeune femme aujourd’hui décédée (ma belle-sœur Rosa), Tout ce que j’en sais, c’est qu’il  est dédié à  « Simone et Baudouin », il est signé « Hannick » et il date du 5 septembre 1987.

« Je connais des bateaux qui restent dans le port
De peur que le courant les entraînent trop forts
Je connais des bateaux qui rouillent dans le port
À ne jamais risquer une voile au dehors

Je connais des bateaux qui oublient de partir
Qui ont peur de la mer à force de vieillir
Et les vagues jamais ne les ont séparés
Leur voyage est fini avant de commencer

Je connais des bateaux tellement enchaînés
Qu’ils en ont désappris comment se regarder
Je connais des bateaux qui restent à clapoter
Pour être vraiment sûr de ne pas se quitter

Je connais des bateaux qui s’en vont deux par deux
Affronter le gros temps quand l’orage est sur eux
Je connais des bateaux qui s’égratignent un peu
Sur les routes océanes où les mènent leur jeu

Je connais des bateaux qui n’en ont jamais fini
De s’épouser encore chaque jour de leur vie
Et qui ne craignent pas parfois de s’éloigner
L’un de l’autre un moment pour mieux se retrouver

Je connais des bateaux qui reviennent au port
Labourés de partout mais plus crânes et plus forts
Je connais des bateaux étrangement pareils
Quand ils ont partagé des années de soleil

Je connais des bateaux qui reviennent d’amour
Quand ils ont navigué jusqu’à leur dernier jour
Quand jamais repliées leurs ailes de géant
Parce qu’ils ont le cœur à vague d’océan. »

Moi aussi j’ai connu un bateau – j’avais 19 ans –
A cette époque, il n’y avait là ni hôtel, ni bar, ni touristes, juste un petit port de pêche où les femmes  nettoyaient les poissons ramenés par leur mari, un camping mal fichu où le sable s’infiltrait dans les tentes et les sacs de couchage et un orphelinat dont les enfants fréquentaient la plage sans pourtant arriver à cacher leur tristesse.
Il était retourné sur le sable, seul et abandonné sur la plage de Giulianova
La coque du bateau, délavée et patinée par le soleil, le vent et la pluie abritait les amoureux des rayons brûlants et du regard des passants
C’était un bateau pour « les amours débutants » qui ont aujourd’hui bien des ans…
Dju, purée de nostalgie…
Allei à la semaine prochaine



lundi 8 mai 2017

Tous en vacances dans les Abruzzes

Mon fournil est terminé. Il est beau, j'en suis fier et content. Le four fonctionne à merveille, ma table de travail mi-marbre mi-hêtre est parfaite, J'ai Grâce à Crhistian, j'ai une balance avec des plateaux en marbre, une petite cuisinière trois becs, et grâce à Dimitri un frigo juste ce qu'il faut. Aujourd'hui, je nettoie le chantier, il reste l'électricité à brancher et mercredi, je pourrai l'étrenner.Je vous en parlerai bien sûr, j'y organiserai des ateliers de formation au pain et aux pâtes (mais je serai fort absent ces prochains mois. Mais aujourd'hui je voudrais lancer un appel un peu plus urgent.

Dans le mail que m'a écrit Luciana et que je vous transmets ci-dessous, le directeur du camping où elle a séjourné, lance un appel après les tremblements de terre : "si vous voulez nous aider, venez dans les Abruzzes". C'est vrai, je connais des commerces, des petits bars et des restaurants de village qui ne tiendront pas sans les touristes. Ainsi, je vous parlais récemment de Montorio dont 3000 habitants ont quitté la ville du fait de l'ébranlement de leur logement. 
Par ailleurs, Yvette, une cousine germaine ( nous sommes tous cousins et cousines dans les Abruzzes) qui vit à Azzinano, un hameau de Tossicia, me dit que sa maison n'a pas souffert du tremblement de terre. C'est dire que les constructions antisismiques sont efficaces et que vous ne risquez rien à aller là-bas.
Donc, j'apporte ma modeste contribution aux Abruzzes en vous proposant d'y aller  si vous n'avez pas encore de destination de vacances. Je le fais car je sais que vous ne serez pas déçus. Au contraire, quand on découvre les Abruzzes, ses paysages, ses villages rustiques, la gentillesse de ses habitants, sa mer, et ses plages magnifiques, ses merveilleuses montagnes et enfin sa gastronomie, on a qu'une envie: y retourner. 
La lettre de Luciana, achèvera sans doute de vous convaincre

"Bonsoir Mario,
 Je lis tes textes depuis quelques années. C’est vrai, pas tous. Je les garde parfois pour les lire « plus tard » mais je ne le fais toujours. 
 Celui-ci ("mes Abruzzes" ndrl) m’a particulièrement touchée.
 Nous nous sommes rencontrés à 2 ou 3 reprises, il y a quelques années déjà. C’était juste avant que vous n’ouvriez votre resto. A la 2e ou 3e rencontre, après avoir lu un de tes textes ou en discutant avec toi, je ne sais plus très bien ; j’avais appris que tu étais originaire des Abruzzes, de Teramo, et il me semble de Montorio même.
 Je t’avais dit que, moi aussi, mes origines se trouvaient à Montorio, mes parents ayant grandi à Leognano. J’avais appris aussi que le nom de famille de ta maman est « Patella ». Je t’avais parlé d’une de mes tantes (elle est décédée depuis) qui s’appelait également « Patella ». Nous n’avions pas pu établir de lien de parenté.
 Je suis allée dans les Abruzzes l’été dernier, dans ma famille évidemment mais aussi, avec des amis, 10 ou 11 jours en montagne, dans un camping exceptionnel à côté du lac de Campotosto (agricampingcardito). J’ai découvert et redécouvert des endroits merveilleux. Nous sommes allés à L’Aquila 2 fois, je n’y étais plus allée depuis 20 ou 30 ans certainement. Un choc, des émotions, … La fille de ma cousine « kotait » à L’Aquila au moment du tremblement de terre (elle a quitté la ville la veille, si je me souviens bien). Nous y sommes allés avec elle. L’ampleur et la répétition des tremblements de terre des derniers mois me bouleversent. Je repense à son témoignage et à plusieurs villages de montagne où nous sommes passés durant nos randonnées et qui ont subi énormément de dégâts ou qui ont complètement été détruits.

Les propriétaires du camping, via leur page facebook nous invitent aussi à aller dans les Abruzzes pour les aider à se relever de cette catastrophe. Les jambes et la tête me démangent d’y retourner. Ce ne sera malheureusement pas cette année. 
 Au plaisir de continuer à te lire et de te rencontrer à nouveau, peut-être."
Voilà, merci Luciana. Vous trouverez sur internet des tas d'informations sur les Abruzzes. Luciana et moi sommes originaires de la province de Teramo. Teramo est un très belle ville et sa campagne extraordinaire. Il existe trois autres provinces: Pescara, Chieti et l'Aquila. Tout cela est assez proche. Le territoire des Abruzzes est de 10794 km2, soit un tiers du territoire de la Belgique. Les distances ne sont pas énormes, il y a un excellent réseau d'autoroute et le tunnel sous le Gran Sasso relie Teramo à l'Aquila en une demi heure.
Pour y aller en avion, vous pouvez choisir d’atterrir à Pescara et y louer une voiture pour vous rendre dans les stations balnéaires plus animées les unes que les autres parfois trop et pour notre part, nous avons été séduit par le calme de Martinsicuro. Vous pouvez aussi choisir d’atterrir à Rome, aller dire bonjour à François, au Panthéon, manger la meilleure pizza du monde à "I Marmi" dans le Trastevere et rejoindre les Abruzzes en une heure et demie.
Allei, à la semaine prochaine et bon voyage déjà.