dimanche 25 juin 2017

C'était son ombre, j'en suis sûr

Il faut que je vous raconte ma promenade. Je dis promenade mais je devrais parler de marche. Mon pas est rapide et ce durant trois heures. Je parcours une quinzaine de kilomètres.  Marlène m’accompagne un jour sur deux. Samedi, nous avons marché plus de deux heures trente. Parfois nous nous parlons, parfois nous nous taisons. Le silence qui nous entoure est magique.
Quand je marche seul, j’ai parfois le sentiment d’aller à la rencontre de mon passé. C’était le cas jeudi dernier. Je vous raconte et je voudrais dédier ce texte à mes petits-enfants : Elina, Elsa, Antonin.
Je suis parti tôt le matin. Je regarde toujours l’heure sur mon smartphone en sortant de la maison. Il était 6h25. Je traverse le clos résidentiel récemment construit au haut de notre rue  et rejoins la rue de l’Arbre Sainte Barbe (à ne pas confondre, comme je le fais souvent, avec la rue de l’Arbre Béni qui, elle, se trouve à Ixelles et qu’André Bialek a chanté dans les années septante). A Voroux-les-Liers, elle devient la rue de la Renaissance (qui jouxte la rue du cimetière.  Eh oui !). Je prends à droite un large sentier herbé qui me fait traverser de grandes prairies où paissent une vingtaine de chevaux et poneys. J’emprunte ensuite la Vieille Voie de Tongres qui, au-delà du Ravel qui va de Liers à Ans, retrouve son air d’antan avec sa terre et ses cailloux. Je marche alors quelques kilomètres au milieu des champs de betteraves et de céréales jusque Juprelle. Au bout de ce chemin de campagne, avant de retrouver le macadam, sur le pignon du hangar en bois d’une ferme est apposée une plaque en métal avec une écriture blanche sur fond bleu. Elle semble officielle et elle porte l’inscription « Place des voisins sympas » et en dessous en plus petit  « commune de Supercool-Cétrankil ».
J’ai été à plusieurs reprises jusque l’Eglise de Juprelle, pour cela je dois prendre la rue Tige vers la gauche. L’église n’a pas beaucoup d’intérêt mais elle voisine avec une vieille ferme en carré, tout en brique, dont la toiture de l’immense grange est en partie écroulée. Vestige de l’agriculture d’autrefois. Quelqu’un la restaurera t-elle un jour ?
Ce jeudi, j’ai décidé de partir vers la droite. De loin, j’avais repérer une autre église, mais je ne suis pas parvenu à la retrouver. A un carrefour, il y avait un poteau  indiquant quatre directions différentes sur de petites plaques en acier. Le tout ressemblait à une girouette. Heureusement ce n’en était pas une. Le panneau tout au-dessus des autres indiquait l’endroit où nous étions : Villers Saint Siméon. Un autre désignait la route en oblique à droite : Slins et Flexhe Slins. A gauche c’était Paifve et Wihorgne. Dans la direction d’où je venais, il était indiqué Juprelle et Lantin et enfin à droite Liers et Voroux les Liers. J’ai suivi cette indication. Je savais que j’avançais sans doute en parallèle avec le chemin de terre que j’avais pris dans l’autre sens. Cette route, la chaussée de Brunehaut, n’est pas très agréable : trop de voitures, pas de trottoir, rien qui  pourrait avoir un quelconque intérêt, si ce n’est le mur d’enceinte en brique d’une immense propriété ancienne. Qui peut habiter un tel endroit et avoir les moyens de l’entretenir?
Après un bon kilomètre je vois un chemin de terre sur ma droite. Au loin, j’aperçois le gazomètre. Je comprends que, en prenant ce chemin, je vais rejoindre ma vieille voie de terre et de cailloux.
De suite, je constate que, pour la première fois depuis que je fais cette marche, j’ai le soleil dans le dos et mon ombre marche devant moi. Je parcours à peine 200 mètres et tout à coup, j’ai l’impression, furtive, qu’une deuxième ombre marche à côté de la mienne.  Je me retourne pensant être suivi, mais il n’y a personne.  D’un côté du chemin un champ d’avoine, de l’autre un verger de poiriers. Je reprends ma marche  et de nouveau cette autre ombre m’apparaît. Je me retourne mais toujours rien. Je me dis que le mieux est que je l’observe un certain temps sans me retourner. Est-ce que j’ai des troubles de la vision ou est-ce qu’elle existe réellement ? Je l’observe, je connais bien mon ombre et celle qui se trouve à son côté n’est pas la mienne. La personne est plus tassée, plus large. Et très vite je la reconnais. Un énorme frisson me parcourt. Sa casquette qu’il tient à la main. Ses longues et rares mèches de cheveux qui virevoltent sur son crâne rond, son gilet qui s’élargit à la taille et que je lui ai toujours connu durant les trente ans où je l’ai fréquenté. Je suis né en 1951, il est mort en 1980. Pépère, mon grand-père paternel. Je suis abasourdi. J’ose un : c’est toi pépère ?  C’est ainsi qu’enfants nous l’appelions. Ca va pépère ? « Oui, t’inquiètes pas, continue de marcher Mario, je suis derrière toi ». De nouveau je frissonne. Les larmes me montent aux yeux. Je n’ose aucune autre question de peur qu’elle ne s’étrangle dans un sanglot. Je ne veux pas me retourner, l’ombre pourrait disparaître. Je suis sûr de sa voix aussi, enrouée par le tabac. De son accent marseillais : Il a quitté l’Italie à 11 ans, en marchant durant des semaines à travers les montagnes, grappillant un quignon de pain dans une ferme, des épluchures de patates dans une autre. De Pragelatto, près de Sestrières, jusque Marseille où il a vécu quelques années. Natale – c’est son prénom, Noël en français - Gotto est piémontais. Mais, enfants, c’est dans les Abruzzes que nous allions. La région de ma mère. Aussi me suis-je toujours considéré comme abruzzaise et non piémontais malgré mon attachement à mon « Pépère ».
Au bout d’un kilomètre que je parcours étreint par l’émotion,  je rejoins mon chemin de campagne pas loin de la Place des voisins sympas. Je prends à gauche. Ce faisant j’ai le soleil en oblique et mon ombre est à droite derrière moi. Je suis borgne de mon œil droit et donc ne la voit plus.  Je me retourne mais la sienne a disparu. Je veux la revoir, je ne veux pas la perdre. Me vient une idée. Je sais que dans trois kilomètres, je vais croiser la chaussée romaine. Il ne reste qu’une bande de cinquante mètres des pavés d’origine, mais j’adore les fouler en pensant qu’ils ont été plantés là il y a deux mille ans. Les vieux cailloux, cela va plaire à Natale aussi me dis-je. Si je prends cette chaussée à gauche et ensuite, dans l’autre sens le Ravel qui lui est parallèle, j’aurai de nouveau le soleil dans le dos. Ce que je fais. Mais dans les hautes herbes, je n’arrive pas à distinguer mon ombre. Alors, je prends la première sortie du Ravel à gauche vers l’église de Liers et là, je tourne à droite sur la rue Provinciale. Bien joué. Le soleil projette mon ombre sur les façades des maisons ; la sienne est là encore qui m’accompagne.  Chair de poule sur tout le corps. Je ne pose aucune question. Il se tait aussi.  Je ralentis le pas pour profiter au maximum de sa présence.
J’ai dépassé les vitrines d’une des dernières vanneries de la province, et me suis engagé à gauche sur le chemin entre les prairies aux chevaux et poneys. Je découvre le nom de ce sentier herbé : ruelle au bois. Ce devait être il y a longtemps. Aujourd’hui, le bois a disparu. Et l’ombre aussi. Et moi, de nouveau,  les larmes me montent aux yeux.
En rentrant, je décide de ne rien dire.  Comment expliquer deux ombres ? Non, je préfère l’écrire. Quand c’est écrit, cela devient une histoire. C’est au lecteur de décider s’il y voit la vraie vie.
Mais en finissant ce texte, je regarde la seule photo que j’ai de lui. C’était son ombre, j’en suis sûr. C’était sa voix enrouée de tabac qui m’avait lancé la phrase la plus précieuse qui soit d’un grand père à son petit-enfant : « Continue de marcher, je suis derrière toi ».

Allei, à lundi hein.

lundi 19 juin 2017

Street art à Roubaix et variations sur Modiano

Nous n’avions pas planifié ce court voyage. En fait si. Nous nous étions dit le WE dernier quand Marlène m’avait montré l’article du soir sur « Street génération(s) », une expo sur l’art urbain à Roubaix, que nous ne pouvions pas manquer cela. Mais nous n’en avions plus reparlé. Le mercredi soir, elle m’a demandé si j’allais marcher demain jeudi, j’ai répondu : ah, non, on annonce de la pluie, donc nous allons voir l’expo Street art à Roubaix. Ah, chouette m’a-t-elle répondu, alors je prends une petite valise et nous passons une soirée et une nuit soit à Roubaix si cela se prête, soit à Lille. Et oui, liberté : privilège de la pension.
Roubaix et Lille, c’est tout près en fait. Nous sommes partis à 11h et à 13heures pile, nous étions attablés dans le magnifique restaurant de « La condition publique ». Gigantesque bâtiment industriel, ancienne usine de conditionnement textile, aujourd’hui reconverti en lieu d’animations culturelles: laboratoire créatif, lieu de vie, concerts, expositions, fab lab, marché, restaurant, événement. Rien que l’aménagement du restaurant et le bâtiment valent le déplacement. La toiture est en partie végétalisée et s’y développe un potager urbain où s’affairent, comme au resto, des jeunes en formation.
L’expo est tout simplement extraordinaire. Le lieu est fait pour bien sûr. Il y a des photos faites dans les rues et dans le métro de New York, il y a des toiles et des panneaux. Il y a surtout des œuvres des plus grands artistes réalisées in situ. Cerises, oui avec s, sur le gâteau, des oeuvres ont été réalisées sur les murs extérieurs  et en les parcourant, on se retrouve dans une cité ouvrière dont les rues convergent en étoiles vers l’usine. Exactement comme le carré de Bois du Luc ou la cité du Grand Hornu. Sur le toit de la Condition Publique, on peut admirer une immense composition aussi merveilleuse que touchante de Jef Aérosol.’On resterait des heures à la regarder.
L’expo retrace l’histoire de l’art urbain depuis le New York des années quatre-vingt, en passant par les quais de Paris et les murs des grandes villes du monde. Le phénomène graffiti s’est développé à une rapidité inouïe pour se métamorphoser aujourd’hui dans les pochoirs des tout grands artistes que sont Banksy, Jef Aérosol (très présent à Roubaix), Space Invader etc.
C’est Magda Danisz qui a fait entrer l’art urbain dans les galeries et musées. Grâce à son travail, les œuvres de Jeff Aérosols ou d’autres se payent en dizaine de milliers d’Euros. Les œuvres de Banksy atteignent aujourd’hui le million d’Euros. C’est elle la commissaire de l’expo de la Condition Publique.
Notre génération a eu de nouveau la chance d’assister à la naissance et à l’épanouissement d’une nouvelle école ou d’un nouveau mouvement artistique qui a accompagné la culture urbaine. L’art urbain a atteint aujourd’hui déjà, ses lettres de noblesses.
Ne ratez pas cette expo et cette petite excursion dans le nord de la France. On découvre ainsi un Roubaix qui en plus de la Piscine (ancienne piscine transformée en musée d’art contemporain) s’enrichit d’un nouveau lieu, très inspiré du Lieu Unique de Nantes mais qui s’est donné une finalité beaucoup plus large et ouverte au public et aux jeunes.
L’expo est prolongée jusqu’au 9 juillet. Je vous souhaite vraiment de pouvoir y aller.
Nous adorons Lille et c’est là que nous avons passé la soirée et la nuit. Le vieux Lille est Hyper animé en soirée (or nous y étions un jeudi soir) : des dizaines de terrasses et restaurants bondés, une architecture ancienne magnifiquement préservée, l’endroit idéal pour un city trip. Dîner au bord de la pelouse dans l’hyper centre, dans une ambiance très conviviale. Petit déjeuner chez Méert près de la Grand Place : des prix très abordables dans un cadre éblouissant.
Retour à la maison.
J’ai sursauté en lisant cette phrase de Modiano (Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014) dans « Un pedigree » : « Mon père a perdu le sien à l’âge de quatre ans ». Je l’ai lue et relue. J’ai imaginé Modiano tordre cette phrase dans tous les sens avant d’arriver à cet épure. J’ai divagué. Me suis dit  qu’il  avait  peut-être commencé par écrire : « mon père avait quatre ans quand il perdit son père ». Mais non, il n’aurait pas employé le passé simple puisque le moment où cela s’est passé est assez précis dirait ma sœur Evelyne, (romaniste, linguiste, préfète à l’athénée Catteau à Bruxelles). Mais il aurait pu écrire aussi : « mon père avait quatre ans quand le sien est mort ». Ou : « à l’âge de quatre ans, mon père a perdu le sien ». Tiens, pourquoi n’a-t-il pas retenu cette dernière forme ? Peut-être est-il parti d’une phrase bien plus compliquée du style : « à quatre ans, mon père se retrouve orphelin » ou «  à quatre ans, mon père se retrouve seul avec sa mère ». Ou encore : « ma grand-mère a été veuve quand mon père avait quatre ans ». Non plus, cette dernière tournure supposerait que le sujet du texte est la grand-mère et non plus le père. Il est possible que cette phrase ait été une fulgurance chez Modiano. Mais je préfère quand même l’imaginer la triturer en tous sens. Il se répète simplifier, simplifier. Sujet, verbe, compléments : « mon père a perdu le sien à l’âge de quatre ans ».
Je relis tout Modiano en ce moment, n’ai pas encore mis la main sur un de mes préférés : « Dans le café de la jeunesse perdue ».
Mais je laisse tomber la lecture de temps en temps car j’ai lancé ma première opération « pains et pâtes pour les voisins et voisines ». Résultat : génial. Cinq demandes, trois Kilos de tagliatelles et feuilles de lasagnes fabriquées ce dimanche matin. J’adore cette farine qui se transforme sous mes mains.
Tiens, vous êtes quelques-uns à partir dans les Abruzzes pour les vacances. Cela me touche et me fait plaisir. Je vous donnerai quelques tuyaux la semaine prochaine.

Allei, à lundi comme dab hein…

lundi 12 juin 2017

des choses et d'autres

Certains d’entre vous m’ont déjà dit que mes chroniques leur donnaient envie de venir ici en vacances. J’ai peur de vous y encourager ou, si je le fais, je devrais aussi vous parler des quelques inconvénients qu’il faut supporter. Si le vieux village, la longue promenade de la plage (la ville dispose de plus de vingt km de côte), « el parque de l’Amadorio », le marché couvert etc. ont bien le charme et le calme dont je vous parle, ils sont néanmoins situés dans une ville de 35 000 habitants (population officielle inscrite qu’il faut sans doute multiplié par deux ou trois en été). Et comme beaucoup de villes espagnoles, elle a un énorme côté sombre : le bruit. Il y a d’abord le bruit insupportable des vélomoteurs et des motos. Le malheur veut qu’un club d’Harley Davidson se soit créé en ville.  Désolé pour mes amis amateurs de moto, mais comment accepter qu’un seul individu sur une de ces machines perturbe par un bruit aussi stupide qu’inutile les conversations de centaines de personnes à 300 mètres à la ronde. Il en est de même pour les « motocyclettas». » De plus, les espagnols ont une manière très particulière de parler entre eux : ils semblent parfois hurler et  quatre personnes autour d’une table font parfois autant de boucan qu’un stade de football. J’exagère à peine. Ajouter à cela les deux ou trois télés toujours allumées dans les bars et les restaurants, avec le volume mis à fonds et cela finit de vous mettre parfois les nerfs à vif. C’est parfois plus gai que la froideur de certains de nos salles de restaurant, en Espagne tout le monde parle à tout le monde. Je suis pour le respect des cultures et modes de vie locaux, mais j’avoue que je ne m’habitue toujours pas à cette orgie de décibels dans la vie courante. Donc si c’est le calme que vous recherchez, vous risquez d’être déçu. Par contre, il y a plein de belles visites à faire dans les environs. La ville d’Alicante est magnifique et son marché couvert un des plus beaux qui soient. (Nous en avons visité des dizaines en Espagne, en France et en Italie et vraiment celui d’Alicante est d’une richesse en produits de qualité, rarement rencontrée.
Notre retour s’est très bien passé avec un repas ultra raffiné que Yoann nous avait préparé. La remise en ordre du jardin est presque terminée. Dimanche j’ai fait des tagliatelles, histoire de reprendre possession de mon fournil. Réussies à la perfection. Donc je crois bien que le WE prochain, je lance la production pour les voisins. J’essaierai de nouveau du pain cette semaine.
 Ce matin (lundi), j’ai fait une marche de deux heures trente. Je n’ai pas envie de perdre cette bonne habitude (re) prise en Espagne. J’ai été à la Citadelle dont j’ai fait quatre fois le tour. Bien sûr, je n’ai ni la mer et son iode, ni le port de pêche, ni le bruit des vagues pour agrémenter ma marche. Mais il y avait un soleil splendide à six heures ce matin (il a disparu à l’approche de huit heures), et, si je n’ai pas la mer,  j’ai deux vues sur la Meuse, une du côté du Thiers à Liège et une au-dessus des coteaux d’où j’ai une vue splendide sur toute la ville. La bande de macadam autour de la Citadelle est devenue complètement piétonne. Il y a peu de monde jusque huit heures. J’y ai rencontré une dame qui comme moi a fait quatre fois le tour dans le sens inverse du mien donc on se rencontrait deux fois par tour (si, si, réfléchissez…) un monsieur qui promenait son chien et deux joggeurs. Plus tard un autre monsieur est arrivé avec trois gros chiens tenus en laisse dieu merci. Et enfin, j’ai été  heureusement surpris de voir de  petits groupes d’ado qui rejoignent les écoles de la rue Hors Château (Sainte Croix, Saint Bart, l’institut Marie Thérèse) par la promenade des Coteaux. En quittant le parc vers Sainte Walburge, je suis tombé sur Rosa avec qui j’avais sympathisé lorsqu’elle venait manger avec ses collègues ou avec sa famille à Como en Casa.
Demain je partirai marcher dans l’autre sens, vers Voroux-Goreux et Fexhe-Le-Haut-Clocher. Je vais marcher une heure trente dans cette direction et je suis curieux de voir jusqu’où j’irai. Avec le retour cela me fera trois heures de marche.
Allei, je vous raconterai tout cela.


lundi 5 juin 2017

Les passantes

J’ai évidemment peu à peu créé une relation amicale avec « la femme à la voix rauque ». Nous avons parlé ensemble à différentes reprises. J’ai ainsi appris à la connaître. Son nom est Marta, elle est andalouse d’origine et a vécu assez longtemps en catalogne (Barcelone). Sûr qu’elle a une ascendance gitane. Elle est vice-présidente de l’association de quartier de la vieille ville que l’on nomme aussi village mauresque (mais ce dernier qualificatif a été créé par les bobos anglais - ils disent morrish homes - pour se donner de l’originalité) ou que l’on nommait, lors de mes premières visites il y a vingt ans, le quartier des gitans. Aujourd’hui, s’il reste pas mal de gitans, beaucoup ont quitté le quartier fuyant leur logement insalubre. Les européens du nord - français, hollandais, allemands, anglais, scandinaves, belges – ont peu à peu pris leur place en achetant les maisons pour une bouchée de pain et, bien sûr, « boboïsent » ou « gentrifient » le lieu. J’ai présenté  Marlène et ma belle-sœur Bégonia à Marta. Nous allons assez souvent prendre le dernier verre du soir chez elle. Elle répond volontiers à nos questions et nous transmet une partie de la mémoire de la ville. « Nous voulons animer ce quartier mais éviter d’en faire un autre « Altéa » (sorte de Durbuy local situé à 10 km plus au nord) nous dit-elle. Ma perception et mes sentiments envers Marta ont changé depuis que je la fréquente au quotidien. Elle devient pour moi une tenancière, certes sympathique et charismatique et à laquelle je tiens beaucoup, mais elle a perdu le côté mystérieux ou mythique que j’avais construit autour de son personnage avant de la connaître et de la fréquenter au quotidien.  « La femme à la voix rauque » a cédé la place à Marta. Je n’en suis ni déçu ni content, je constate simplement. N’en est-il pas toujours ainsi de nos nouvelles rencontres et fréquentations ?
Nous sommes tombés lors d’une de nos déambulations dans les ruelles sur un « repas de voisins ». Cinquante couverts étaient dressés sur de longues tables nappées de blanc. Chacun apportait une préparation de son choix pour étoffer le buffet.
Comment ai-je pu oublier de mentionner Léona en vous citant le nom des barques de pêcheurs. « Ma » Léona à moi, c’était cette femme de Strépy, qui nous faisait de grosses tartines au beurre salé quand, enfants,  nous rentrions avec Taf, son mari, de la cueillette de champignons (voir mes chroniques de 2011).
Je n’ai découvert que la semaine dernière que La barque Noellia portait aussi un deuxième nom : Jeronimo.
Hier, au cimetière, j’ai lu sur la tombe d’une femme le prénom « Expectation »  (le nom de famille était Rodriguez-Rodriguez).
Nous avons, alors que nous prenions un verre à la Placeta (c’est le nom du bistrot de Marta) assisté par hasard à une réunion du comité de quartier. A vue de nez, deux tiers de l’assistance étaient composés de « blancs », un tiers d’espagnols et il y avait juste une gitane. L’animateur était espagnol et la langue employée était obligatoirement l’espagnol (le castillan est en fait le nom exact de la langue). La boisson était le vin (ben oui).
La ville est séparée en deux par un ravin (« una rambla ») qui fait entre cinquante et à certains endroits jusque plus de cent mètres entre une rive et l’autre. Il divise « El casco antiguo » (la vieille ville) en deux.  Mais 75% du quartier se trouve sur la rive nord. Les 25% restant, au sud, valent la peine d’être visité d’autant que la rue la plus fleurie de la ville s’y trouve. La rivière, au beau nom d’Amadorio, qui a creusé la rambla, coule toujours 25 m plus bas - et cette année elle est bien gonflée – et après avoir rempli « el pantano » - le barrage – quatre km à l’intérieur des terres, elle se jette à la mer. On a aménagé un magnifique parc dans le ravin et sur ses parois avec terrasses, sentiers de promenade, bancs, fleurs, arbres, escaliers, parcours santé…  L’appartement d’Ines est juste au bord sud de la rambla, J’y descends chaque jour, j’y traîne, je le nomme  Central Park.
Les maisons de la vieille ville sont colorées à la chaux : bleu, bordeaux, rouge, vert, jaune, blanc…Cette tradition date de l’époque où l’on vivait de la pêche et cela permettait aux pêcheurs de voir leur maison de loin quand ils rentraient.
Depuis quelques jours, j’ai doublé ma marche matinale. Je pars vers 6 h 15 ou 6 h 30 et j’arrive à la Maja où je prends mon café et une vichy catalan vers 9 h ou 9h 15. Durant ma marche je rencontre presque toujours les mêmes personnes, on finit par se connaître et on se dit bonjour. Certains disent  « buen dia », d’autres  emploient le pluriel « buenos dias », manière de souhaiter le bonjour pour de longues années. Certains disent simplement « hola ». Une maison donnant face à la mer a pour nom Hola Ola (Ola c’est la vague. Donc Hola ola c’est bonjour la vague).
Il y a au bas de la vieille ville un premier étage avec deux portes fenêtres donnant sur la plage. La jeune femme qui y habite doit avoir entre 30 ou 35 ans. Elle a des cheveux blonds-roux légèrement frisés qui lui tombent sur les épaules. Son lit est posé contre la porte fenêtre gauche, je l’ai vue un matin vêtue juste d’une chemise à carreaux qui laissait voir ses jambes, refaire le lit et balayer autour. J’ai pensé aux passantes de Brassens « à celle qu’on voit apparaître une seconde à sa fenêtre… »   A la porte fenêtre de droite est posée une table ronde recouverte d’une nappe blanche entourée de deux chaises au tissu rayé. On l’y imagine prendre son café en regardant la mer. Dimanche dernier, à 8 heures, la porte fenêtre de gauche était grande ouverte, la jeune femme n’était pas levée ou alors s’était recouchée. On voyait ses belles jambes brunes (« de longues jambes de faon », aurait dit Aragon) étendues sur le lit. Le lundi elle baladait son chien sur la longue promenade de mer. J’ai été tellement pris au dépourvu en la rencontrant que je n’ai pu que lui souhaiter un « buen dia » auquel elle a répondu en souriant comme pour se moquer de moi. Elle me parut plus petite que dans mon souvenir. L’après-midi, elle avait mis son linge à sécher, j’y ai reconnu la fameuse chemise à carreaux de la première fois. Mais il y avait debout près de la table à l’autre fenêtre, une grande et fine jeune femme aux cheveux blonds magnifiquement coupés à hauteur du cou. Bon sang, les longues jambes de faon,  c’était les siennes bien sûr ! Leur comportement ne laissait aucun doute quant à leur relation.  Depuis, je les vois souvent prendre le petit déjeuner assises sur les chaises au tissu à rayures.
Pffft ! Sigues sonando Mario. (Tu rêves encore Mario)

Allei, lundi prochain je vous écris de Liège