mardi 18 juillet 2017

Les coussins de Niharra

Je vous écris d’Avila en Espagne. Jusque il y a peu, Avila évoquait pour moi presqu’uniquement Sainte Thérèse. Auteure du « Chemin de la perfection » (1583) et créatrice de l’ordre des carmélites déchaussées. Elle donnera naissance à un large mouvement des couvents « déchaux «  et produira de nombreux écrits mystiques. Elle est devenue en 1970 la première femme proclamée Docteur en science de l’Eglise. Il existe aujourd’hui à Avila une Université de la Mystique. Ceci,  pour vous dire que Sainte Thérèse d’Avila n’est pas n’importe qui pour le monde catholique.
Avila, c’est aussi une ville, un ensemble architectural exceptionnel. La vieille ville, entourée d’une muraille de 3 km (la mieux conservée du monde) et dont certaines des 88 tours atteignent près de 20 mètres d’hauteur, est majestueuse et impressionnante. J’ai eu l’occasion d’y grimper et de la parcourir. Cela vaut le déplacement. L’intérieur de la vieille ville est d’une richesse monumentale ahurissante. A égale distance de Salamanca, de Madrid et de Ségovie, on peut y passer une quinzaine de jours riches en découvertes. De plus, pas moins de 115 senderos (chemins de randonnées) parcourent sa sierra et celle de Credos. Inutile de vous dire que j’y use mes souliers. Et pas plus tard qu’hier lundi, j’ai réussi à me perdre durant 11 heures dans la sierra. Je ne vous dis pas l’état de mes jambes aujourd’hui et des brûlures sur mes bras et ma nuque. De plus, comme il a bien fallu que je me résigne à me désaltérer d’ eau de source, mes intestins sont aujourd’hui déchainés. Mais, c’est une autre histoire que je vous conterai une autre fois.
Revenons à Sainte Thérèse.
Enfant, j’ai grandi non seulement dans la rue, les prairies, les bois et les terrils, mais aussi au milieu des nonettes et des curés. Nourri d’évangiles et d’histoires saintes, j’avais, sans doute vers sept, huit ou neuf ans, un attrait tout particulier pour les histoires d’apparitions de la Vierge. (voilà sans doute qui explique ma collection de plus d’une trentaine de statues de l’Immaculée Conception, j’y pense en vous écrivant). Lourdes, Fatima, Banneux, Beauraing… n’avaient pas beaucoup de secrets pour moi. J’étais émerveillé par la description que l’on faisait de la beauté de « cette dame éblouissante » : son visage éclatant, sa peau blanche et immaculée, sa robe du bleu du ciel qui n’avait de pareil que le bleu de ses yeux, la douceur de sa voix qui nous invitait à penser à elle et à prier pour qu’elle revienne. « Sa robe et sa chevelure étaient nimbées d’un nuage d’étoiles… »
J’en étais venu à une seule obsession : qu’elle m’apparaisse à moi aussi. Je récitais alors force « Je vous salue Marie ». J’en étais amoureux fou et j’étais sûr qu’un  jour elle m’apparaîtrait. Elle aussi tomberait amoureuse de moi et refuserait alors de retourner au ciel pour ainsi vivre à mes côtés. Je serais l’homme le plus doux et le plus prévenant qui soit. On se passerait de l’Ange Gabriel pour assurer notre descendance. Bien des années plus tard, ma thérapeute me dira, à propos d’une toute autre aventure, que mon attrait pour les femmes était particulièrement précoce. Ceci pour vous dire combien j’étais intéressé de me retrouver à Avila.
En matière de précocité, Sainte Thérèse n’était pas en reste. Femme, elle vit apparaître non pas la vierge Marie, mais son fils Jésus Christ en pleine maturité, semble t’il : « Il avait un visage si empourpré, qu’il ressemblait à ses anges aux couleurs si vives qu’ils semblent s’enflammer. Je voyais dans ses mains une lame d’or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l’enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu’il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu’elle m’arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette grande douleur, était si excessive qu’on ne pouvait que désirer qu’elle se poursuive…. ». Ce texte je l’ai lu ce matin, imprimé dans la fonte sur un mur du « Monastère de l’Incarnation des Carmélites Déchaussées ». Le couvent où vécu Sainte Thérèse. Un dame m’y a fait entrer et m’y a guidé à la seule condition qu’en remerciement, je prie pour elle car j’avais l’air d’un homme à la foi profonde, me dit elle. Je lui ai promis qu’à tout le moins, je brûlerai un cierge, électrique s’il vous plaît, pour le salut de son âme.
Quittant le monastère, j’ai pensé que bien des jeunes filles avaient du prononcer leur vœux en espérant vivre, à leur tour, cet orgasme mystique.
Depuis quelques temps, les grandes cathédrales, basiliques et autres monuments baroques, romans ou gothiques, me saoulent assez vite. Aussi, après trois jours de promenades à l’intérieur de la vieille ville d’Avila, j’avais pris le volant de ma merveilleuse Fiat 500L de location pour parcourir la Castille Léon à la recherche non pas du gothique mais de l’authentique et du rustique. Je peux vous dire que je n’ai pas été déçu et que j’emporte avec moi des dizaines de photos de petites églises et de cimetières. Les tombes de ces derniers sont souvent blanches et couvertes de fleurs en plastique qui leur donne un air complètement kitch. (le soleil assassin d’ici tuerait en moins d’une demi heure n’importe quelle fleur naturelle coupée). Ce dimanche, j’avais décidé d’y aller au hasard et de tenter d’’assister à une messe dans un de ces hameaux qui paraissent complètement dépeuplés. Je venais de faire une photo de l’église de Niharra. J’allais repartir quand je vis un femme portant une énorme clé, qui se préparait à ouvrir la porte de l’église dont le clocher était recouvert de nids de cigognes. Il y a une messe ? Oui, à 11 heures. C’en était presque miraculeux. J’en avais pour un quart d’heure à attendre. Je me suis donc installé sur un des bancs en bois patiné, proches de l’entrée. Tous les bancs portaient des coussins au tricots colorés. J’en déplaçais quelques uns pour m’installer. Je ne savais pas que ce faisant j’allais perturber le début de l’office. Arrivèrent une, deux, trois femmes. L’une d’entre elles, dont je compris de suite qu’elle était l’empêcheuse de tourner en rond du coin (j’en ai connu dans ma vie d’enfant de cœur, de ces mégères qui pourrissaient la vie du curé) m’interpella. Elle voulait savoir si j’étais là pour la messe ou juste pour voir l’église. Les deux lui dis je. Pas contente, elle allât  passer sa mauvaise humeur sur une petite vieille qui s’était installée au premier rang et qui semble t’il avait pris un coussin qui ne lui appartenait pas. Le curé, il devait être un peu plus jeune que moi, arrivé entretemps, lui cria de laisser cette vieille tranquille. Je sentais que rien que la vue de cette femme le mettait hors de lui.
D’autres femmes arrivèrent. Et étonnement, j’en dénombrais une soixantaine et pas que des vieilles. Il y avait là des dames de quarante ou cinquante ans, magnifiquement vêtues, le port altier et élégant. La soie semblait le tissu le plus utilisé dans la confection de robes très contemporaines. Certaines s’installèrent sur le banc derrière moi. Mais je compris vite que leur place habituelle était sur le banc que j’occupais. J’avais déplacé quelques coussins sur le banc devant moi. Finalement, après moultes contorsions, chacune finit par récupérer le sien en m’adressant de petits sourires gênés. Une autre dame arriva et eut un moment d’hésitation aussi. Elle ressemblait à la Reine Sophie, plus jeune et plus belle. Elle était vêtue d’un pantalon noir et d’un chemisier gris. La classe. Elle s’installa deux bancs devant le mien. Mais elle cherchait son coussin. Elle en prit un, noir et sans fioriture. A son image. Mais je percevais qu’elle n’était pas tout à fait certaine que c’était le sien. Toute cette histoire de coussin avait bien duré cinq minutes.
Cinq hommes sont entrés en dernière minutes et se sont installés debout dans le fonds de l’église. Je n’étais plus seul. Mais malgré tout, je fus l’objet de biens de regards discrets.
Si comme moi, vous n’allez à la messe qu’à l’occasion d’un enterrement, vous savez que le moment le plus interpellant survient un peu après la consécration, quand le curé propose qu’en signe de fraternité, nous nous serrions tous la main. La belle Sophie se retourna et avec un sourire que j’aurais voulu uniquement féminin (ici peut être était il simplement chrétien) me tendit la main que je serrais en lui rendant son sourire. Je me retournais pour passer le relais à une des femmes sur le banc derrière moi, mais quatre mains et quatre sourires se tendaient vers moi. Je le leur rendis aussi bien sûr. Je quittais l’église juste après la communion. J’avais un peu peur d’attendre la fin et de devoir participer aux conversations sur le parvis, après la messe. J’eus beau chercher un lieu pour prendre un café ou un verre, il n’y en avait pas. J’ai trouvé cela dommage et ai pensé à tous ces gens qui allait se quitter sans autre forme de cérémonie. C’était si gai avant. « Tu te rappelles le dimanche…. »
Je vous voir venir hein. Mais voilà qu’on découvre un Mario calotin, direz vous.  Hélas, non braves gens. Je ne crois plus en dieu et de moins en moins aux hommes, figurez vous. La liturgie fait partie de mon enfance et j’aime parfois la retrouver. Cela fait des années que je voudrais assister à une belle messe de Noël mais cela existe-t-il encore ? Je n’ai plus la foi, mais j’aime assez bien le personnage de Jésus, que les évangélistes ont façonné comme le meilleur des hommes. Impossible d’en trouver d’aussi bon dans la réalité. J’aime bien quand Jésus chasse les marchands du temple. Il aurait bien fallu quelqu’un comme cela au PS…Ou quand il protège les prostituées. J’adore évidemment quand il change l’eau en vin. Au regard de la bêtise des hommes (dont je suis aussi), je pense souvent à la supplique qu’Il a lancé du haut de sa croix : « Père, pardonnes leur car ils ne savent ce qu’ils font »
Allei, à la semaine prochaine.











 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire