lundi 15 janvier 2018

Fabrice

C’est lorsque j’ai appris que Fabrice était gravement malade que j’ai décidé de faire une pause dans mes chroniques et de me lancer dans l’écriture d’un livre où il serait beaucoup question de lui. Deux mois plus tard, Fabrice nous a déjà quittés, victime d’un cancer qui les dernières semaines l’a foudroyé. On m’a proposé de prendre la parole, avec d’autres à l’ultime cérémonie précédente l’incinération. Voici le texte :
Quatre mots me viennent pour parler de toi Fabrice

Le premier est le mot frère
Tu étais non seulement mon meilleur et mon plus vieil ami (nous nous sommes fréquentés cinquante et une années) mais tu étais mon frère. Nous avons eu le même parcours, nous avons pour ainsi dire grandi (au moins culturellement) ensemble. Nous avons acquis et cultivé les mêmes valeurs. Nous ne devions pas beaucoup parler pour nous comprendre.
Entre frères, on n’est pas toujours d’accord et on se dispute pour un rien. Heureusement pour nous, nous nous sommes toujours retrouvés
Quand on s’est retrouvé en novembre je t’avais envoyé un SMS disant :
« Tu m’as manqué, on est cons parfois… » Tu m’avais répondu « t’as raison, on est vraiment cons. »
Tu as été non seulement mon frère mais aussi mon grand frère. Tu as été celui qui m’a sans doute le plus et mieux conseillé dans ma vie personnelle.  Tu m’as hébergé longtemps quand j’en avais besoin.  Ce fut une belle période qui m’a permis alors de rencontrer Eliane devenue elle aussi une sœur.
Le deuxième mot c’est  le mot formidable
Tu l’employais souvent et à bon escient. Marlène me disait samedi « moi j’ai perdu mon amie Liselotte. Toi tu as perdu Fabrice ». Liselotte et toi aviez  deux points communs : l’année de naissance et l’emploi de ce mot : formidable. Tu m’avais envoyé ce message à propos de l’immunothérapie dans laquelle tu avais beaucoup d’espoir - et moi aussi - et tu avais peur que cela ne se puisse se faire. Quand on t’a dit OK tu m’as écrit «  Je commence l’immunothérapie  ce vendredi matin : C’est formidable. »
Puis, deux jours plus tard un autre message : « C’est commencé, plein d’espoir dans ce goutte à goutte. »
Quand tu as appris que cela n’avait rien donné, moi j’étais cassé, tu l’as vu et tu m’as dit : « Ne t’inquiètes pas, j’assume ». Sous-entendu j’assumerai ce qui arrivera.
Saches que dans ton combat contre la maladie, nous t’avons tous admiré.  Tu as été formidable Fabrice.
Le troisième mot c’est ta constance
Je pourrais reprendre le titre de John Le Carré  « la constance du jardinier »
Les jardiniers d’aujourd’hui ont compris avec la perma culture que les plantes peuvent se débrouiller entre elles. Pas besoin d’intrants qui affaibliraient leur défense naturelle. Elles se nourrissent les unes  les autres,  se défendent ensemble, communiquent et s’entraident. Toi tu étais le jardinier de la conscience humaine, de l’action et de la solidarité. On oublie souvent de parler de ce deuxième pilier de la méthode de la JOC. Il y a le « voir, Juger, agir » bien sûr mais il y a aussi et surtout « entre eux, par eux pour eux ». Chez toi ce second pilier était tellement ancré que ça en était une seconde nature. Tu savais que ce qui était à faire était de permettre aux gens d’être les acteurs de leur propre libération. Pas besoin d’intrants qui leur aurait enlevé leur autonomie. Il s’agissait de faire des gens les acteurs de leur histoire.
Et justement le quatrième mot qui me trottait en tête c’est le mot Histoire, avec un grand H
C’est souvent quand la mort est proche qu’on se demande quel est le sens de ce que nous avons fait et de ce que nous avons été. Des millions d’hommes et de femmes ont vécu avant nous et vivrons après nous. Nous avons à apporter, modestement, tout petitement, notre pierre. Minuscule mais tellement importante. Aussi je relis un petit texte que je t’ai lu il y a à peine quelques semaines, quand tu m’avais dit que tu ne pouvais plus te concentrer. Il est tiré du livre Sapiens. Son auteur est : Yuval Noah Harari. Albert Jacquard avait écrit sensiblement la même chose dans son livre : La légende de la Vie.
« Il y a environ 13.5 milliards d’années, la matière, l’énergie, le temps et l’espace apparaissaient à l’occasion du Big Bang. L’histoire de ces traits fondamentaux de notre univers est ce qu’on appelle la physique
Environ 300 000 ans après leur apparition, la matière et l’énergie commencèrent à se fondre en structures complexes, appelées atomes, lesquels se combinèrent ensuite en molécules. L’histoire des atomes, des molécules et leur interactions est ce qu’on appelle la chimie.
Voici 3.8 milliards d’années, sur la planète terre, certaines molécules s’associèrent en structures particulièrement grandes et compliquées : les organismes. L’histoire des organismes est ce qu’on appelle la biologie.
Voici 70 000 ans à peine, des organismes appartenant à l’espèce Homo Sapiens commencèrent à former des structures encore plus élaborées. On les appelle les Cultures.
Le développement ultérieur de ces cultures humaines est ce qu’on appelle L’Histoire.
L’Histoire des homes a, de tous temps, été traversée par le même défi culturel : Comment vivre ensemble ? »
Dans ce vivre ensemble tu as joué un rôle énorme Fabrice : lutter contre l’injustice, obtenir des règles et des droits pour les travailleurs. Le syndicalisme que tu as pratiqué est un formidable régulateur du vivre ensemble.
Tu as fait le job Fabrice. Tu as fait plus que ta part. Merci Fabrice
Marlène dit que ton corps en avait assez et que sa mort semble nous dire : J’ai fait, maintenant à d’autres de continuer.

C’est pour cela que le mot publié par ta fille Carina sur FB prend tout son sens. Elle a écrit : dors bien papa. Elle a raison : reposes en paix  Fabrice.